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Hors d’ici, on ne trouve en Danemark que des villes de peu d’importance, des écoles secondaires. Copenhague a tout absorbé, Copenhague est la reine absolue, la reine sans rivale de toutes les provinces danoises, et son université est la métropole scientifique du Nord.

Depuis que nous avons commencé à sortir de nos frontières, et regarder autour de nous, nous n’avons encore appris à connaître que l’Angleterre et l’Allemagne ; quand on fera un pas de plus, quand on viendra jusqu’en Danemark, on sera surpris de voir tout ce qu’il y a de trésors scientifiques amassés dans une ville à laquelle nous n’attribuons pas une grande influence, et d’hommes savans dispersés à travers un pays qu’un de nos journaux appelait encore dernièrement un pays presque barbare. Ici il y a de grandes bibliothèques et de riches musées ; ici il y a une vie d’études sérieuse et persévérante ; ici on aime vraiment la science pour la science. Les professeurs qui s’y dévouent ne reçoivent qu’un mince salaire, et les hommes qui écrivent ne s’enrichissent guère par leurs travaux. En France, en Allemagne, en Angleterre, quand un poète s’abandonne à ses inspirations, quand un savant publie un livre, il s’adresse au monde entier. En peu de temps son livre est connu, traduit et répandu d’un bout de l’Europe à l’autre. En Danemark ce livre est tiré à quelques centaines d’exemplaires, annoncé par quelques journaux ; il va de Copenhague dans les provinces, et peut-être arrive-t-il très lentement et très difficilement en Norvége et en Suède. Mais le Holstein l’ignore ; les universités allemandes ne s’en occupent pas, et la France n’en entend jamais parler. Si Oehlenschlœger n’avait pas lui-même traduit ses œuvres en allemand, peut-être ne connaîtrions-nous pas Oehlenschlœger, l’un des plus grands poètes qui aient jamais existé. Nous ne connaissons pas Finn Magnussen, qui a écrit une mythologie plus érudite et plus profonde que celle de Creuzer, ni Oersted, Schlegel, Rosenvinge, qui ont éclairci le labyrinthe de la législation du Nord. Nous ne connaissons pas Grundtvig, poète original, philosophe religieux, d’une nature parfois bizarre et confuse, mais grandiose comme celle de Gœrres. Nous ne connaissons pas Rask, cet homme qui avait saisi le génie de toutes les langues, ni Muller qui s’avançait avec tant de sagacité dans l’étude des antiquités scandinaves, ni plusieurs autres savans zélés, laborieux comme Werlauff, Molbech, Engelstoft, Oersted le professeur de physique, qui ont consacré leur vie à des travaux utiles, et dont les œuvres n’ont pas traversé l’Elbe. Tous ces hommes-là ont écrit en danois, et les savans étrangers ne les ont pas lus, et le libraire ne leur a presque rien donné[1]. Pourquoi tant d’efforts s’il n’y avait au fond de leur cœur un sentiment qui supplée à toute ambition littéraire, à tout intérêt matériel ? Pourquoi tant d’études silencieuses, ignorées, s’ils n’aimaient réellement l’étude ?

  1. Les rédacteurs du journal littéraire qui porte le litre de Maaneds Tidskrift reçoivent 9 à 10 écus par feuille de 16 pages (25 à 28 francs). Les trois rédacteurs des Archives de jurisprudence reçoivent 100 écus pour un volume de vingt feuilles. Le libraire donne à ces professeurs, pour un livre classique, 12 écus par feuille, et à un romancier aimé du public, 8 à 9 écus.