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FRÉDÉRIC ET BERNERETTE.

Pour le reste, Dieu y pourvoirait. Tel fut le projet auquel les pauvres amans s’arrêtèrent, et dont ils crurent le succès infaillible, comme il arrive toujours en pareil cas.

Deux jours après, Frédéric, après une nuit sans sommeil, se rendit chez son amie, dès six heures du matin. Un entretien qu’il avait eu avec son père le troublait ; on exigeait qu’il partît pour Berne ; il venait embrasser Bernerette pour retrouver près d’elle son courage affaibli. La chambre était déserte, le lit était vide. Il questionna la portière, et apprit, à n’en pouvoir douter, qu’il avait un rival et qu’on le trompait.

Il sentit cette fois moins de douleur que d’indignation. La trahison était trop forte pour que le mépris ne vînt pas prendre la place de l’amour. Rentré chez lui, il écrivit une longue lettre à Bernerette, pour l’accabler des reproches les plus amers. Mais il déchira cette lettre au moment de l’envoyer ; une si misérable créature ne lui parut pas digne de sa colère. Il résolut de partir le plus tôt possible ; une place était vacante pour le lendemain à la malle-poste de Strasbourg ; il la retint, et courut prévenir son père ; toute la famille le félicita ; on ne lui demanda pas, bien entendu, par quel hasard il obéissait si vite ; Gérard seul sut la vérité ; Mlle Darcy déclara que c’était une pitié, et que les hommes manqueraient toujours de cœur. Mlle Hombert augmenta de ses épargnes la petite somme qu’emportait son neveu. Un dîner d’adieu réunit toute la famille, et Frédéric partit pour la Suisse.

x.

Les plaisirs et les fatigues du voyage, l’attrait du changement, les occupations de sa nouvelle carrière, rendirent bientôt le calme à son esprit. Il ne pensait plus qu’avec horreur à la fatale passion qui avait failli le perdre. Il trouva à l’ambassade l’accueil le plus gracieux ; il était bien recommandé ; sa figure prévenait en sa faveur ; une modestie naturelle donnait plus de prix à ses talens, sans leur ôter leur relief ; il occupa bientôt dans le monde une place honorable, et le plus riant avenir s’ouvrit devant lui.

Bernerette lui écrivit plusieurs fois. Elle lui demandait gaiement s’il était parti pour tout de bon, et s’il comptait bientôt revenir. Il s’abstint d’abord de répondre ; mais comme les lettres continuaient et devenaient de plus en plus pressantes, il perdit enfin patience. Il répondit et déchargea son cœur. Il demanda à Bernerette, dans les termes les plus amers, si elle avait oublié sa double trahison, et il