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FRÉDÉRIC ET BERNERETTE.

— Tu vas le savoir ; viens, courons.

Ils allèrent ensemble chez Bernerette.

— Monte seul, dit Gérard, je reviens dans un instant ; — et il s’éloigna.

Frédéric entra. La clé était à la porte ; les volets étaient fermés.

— Bernerette, dit-il, où êtes-vous ? — Point de réponse.

Il s’avança dans les ténèbres, et, à la lueur d’un feu à demi éteint, il aperçut son amie assise à terre près de la cheminée.

— Qu’avez-vous ? demanda-t-il, qu’est-il arrivé ? — Même silence. Il s’approcha d’elle, lui prit la main.

— Levez-vous, lui dit-il, que faites-vous là

Mais à peine avait-il prononcé ces mots, qu’il recula d’horreur. La main qu’il tenait était glacée, et un corps inanimé venait de rouler à ses pieds.

Épouvanté, il appela au secours. Gérard entrait suivi d’un médecin. On ouvrit la fenêtre ; on porta Bernerette sur son lit. Le médecin l’examina, secoua la tête, et donna des ordres. Les symptômes n’étaient pas douteux, la pauvre fille avait pris du poison ; mais quel poison ? Le médecin l’ignorait, et cherchait en vain à le deviner. Il commença par saigner la malade ; Frédéric la soutenait dans ses bras ; elle ouvrit les yeux, le reconnut et l’embrassa, puis elle retomba dans sa léthargie. Le soir, on lui fit prendre une tasse de café ; elle revint à elle comme si elle se fût éveillée d’un songe. On lui demanda alors quel était le poison dont elle s’était servi ; elle refusa d’abord de le dire ; mais, pressée par le médecin, elle l’avoua. Un flambeau de cuivre, placé sur la cheminée, portait les marques de plusieurs coups de lime ; elle avait eu recours à cet affreux moyen pour augmenter l’effet d’une faible dose d’opium, le pharmacien auquel elle s’était adressée ayant refusé d’en donner davantage.

ix.

Ce ne fut qu’au bout de quinze jours qu’elle fut entièrement hors de danger. Elle commença à se lever et à prendre quelque nourriture ; mais sa santé était détruite, et le médecin déclara qu’elle souffrirait toute sa vie.

Frédéric ne l’avait pas quittée. Il ignorait encore le motif qui lui avait fait chercher la mort, et il s’étonnait que personne au monde ne s’inquiétât d’elle. Depuis quinze jours, en effet, il n’avait vu venir chez elle ni un parent ni un étranger. Se pouvait-il que son nouvel