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DU RADICALISME ÉVANGÉLIQUE.

et catholique, des travaux théologiques s’accomplissent ; nous avons apprécié ailleurs l’importance du piétisme de Halle et du mysticisme de Munich ; joignons à ces signes les symptômes du néo-christianisme, et enfin les tendances religieuses de la philosophie idéaliste, tant en Allemagne qu’en France, et nous n’aurons pas tort de conclure que le fait historique du christianisme remue fortement les passions et les pensées humaines, et que l’esprit du monde cherche à ses désirs et à ses sentimens religieux une satisfaction complète et nouvelle.

À l’égard de l’esprit chrétien, soit catholique, soit protestant, soit néo-chrétien, l’esprit philosophique ne peut avoir qu’impartialité et bienveillance. Il reconnaît d’abord que la supériorité morale du christianisme, sur les différens cultes de l’antiquité, est démontrée par les hérésies même et les différens partis qui l’expriment ; il y a, dans le christianisme, un esprit de liberté, puisqu’il est possible d’être chrétien de tant de façons diverses. Connaissons-nous dans l’histoire les hérésies du polythéisme chez les Grecs et les Romains ? Non ; la religion des Romains et des Grecs a pu avoir des phases diverses ; mais elle n’était pas animée d’une liberté intérieure d’où pussent sortir de fécondes hérésies.

Puisqu’elle spécule en présence d’une religion supérieure au paganisme, la philosophie moderne doit à cet avantage un champ plus étendu pour ses théories, et aussi plus de modération et de patience dans les applications sociales. D’une part, les convictions de la société moderne étant moralement meilleures que les convictions de la société antique, la philosophie n’a plus à démontrer aujourd’hui quelques idées premières, désormais hors de toute discussion, comme l’égalité des hommes entre eux, l’unité de Dieu, la spiritualité immortelle de l’ame humaine. D’un autre côté, la philosophie moderne, par la nature même de ses principes, donne aux sociétés qu’elle veut enseigner et conduire des gages irrécusables de prudence et d’habileté.

Comment la philosophie tomberait-elle dans les écarts et les erreurs que nous avons reprochés au radicalisme évangélique, comment identifierait-elle la souveraineté du peuple avec la souveraineté du nombre, elle qui salue l’intelligence comme la première loi des sociétés humaines ? Elle n’excite pas les pauvres contre les riches, la détresse contre l’opulence, parce qu’elle ne cède pas aux mouvemens passionnés d’un sentimentalisme irréfléchi ; elle ne jette pas l’anathème à la face de la société moderne, parce qu’elle la comprend dans ses tendances, la sait dans ses origines, la guide dans ses progrès, et la pré-