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DU RADICALISME ÉVANGÉLIQUE.

l’homme même. Un homme a l’initiative d’un grand dessein, d’une utile découverte, d’une haute pensée. Les autres hommes consentent, et ce consentement, en se perpétuant, constitue la tradition.

Initiative, consentement, tradition, voilà les trois formes de l’individualité même ; elle est plus saillante dans l’initiative mais elle n’est pas moins réelle dans le consentement et la tradition. Pourquoi les autres hommes consentent-ils à une proposition qui leur est présentée, si ce n’est parce que leur individualité a été pénétrée et convaincue ? Ce n’est pas tout ; en consentant à une pensée offerte, les hommes la transforment inévitablement, et l’individualité joue ici un nouveau rôle. C’est se faire une idée fausse de la tradition que de la prendre pour une acceptation muette et servile d’une pensée imposée. La tradition ne vit elle-même que par un mouvement de l’esprit humain qui, continuant de consentir à une pensée dont il a reconnu l’évidence, s’agite dans une sphère tracée dès le principe.

Il y a de l’unité dans l’histoire quand une pensée première et féconde est développée par une tradition vigoureuse. L’esprit humain embrasse avec amour la vérité qu’il a reçue ; il s’attache à tirer de son sein des fruits solides et doux ; il porte toutes ses forces sur un point donné, et tous ses mouvemens concourent au même but. Souvent les peuples sont en jouissance de ces résultats heureux, sans en avoir les lois et le secret ; ils s’imaginent que la pensée première n’a pas changé et qu’ils vivent sous le joug de son immobilité. L’activité de l’esprit humain leur échappe, parce qu’alors elle est harmonique et non pas turbulente ; mais si l’on pouvait à leurs yeux rapprocher brusquement le point de départ des doctrines et des commentaires qui dirigent la pratique de leur siècle, ils seraient éblouis par les différences, et reconnaîtraient l’éternelle mobilité du genre humain. Au surplus vient un temps où cette mobilité est irrécusable ; c’est lorsque la pensée première est corrompue ou épuisée, lorsque la tradition devient mensongère ou stérile ; alors l’individualité exerce une nouvelle initiative qui demande à triompher à son tour par un autre consentement et par une autre tradition.

Si donc rien ne se produit ou ne se passe sur la terre qui ne relève de l’individualité humaine, il importe de bien connaître cette individualité, qui est la racine du droit et la source des pensées et des actions de l’homme. Or, le premier fait fondamental qui constitue cette individualité, c’est l’intelligence.

Où est l’intelligence dans la théorie du droit de M. de La Mennais ? Elle n’y brille que par son absence ; et cette ellipse suffit pour réduire