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a servi aux Grecs pour les préparer à l’Évangile, comme la loi a servi aux Hébreux. La philosophie dispose donc à la foi, qui est le fondement de la science, et la vraie science, la gnose, est une vue claire de ce que l’on a appris par la foi. Quand l’ame est remplie de la vraie science, elle n’a plus d’autre passion que celle de Dieu. Le gnostique habite avec Dieu, quoique son corps soit sur la terre ; sa vie est une fête de tous les jours ; il n’a pas besoin de la solitude pour maintenir son ame à l’état divin ; il accepte toutes les situations, le commandement aussi bien que l’obéissance, la pauvreté non moins que la richesse ; ses pensées, comme les ailes du séraphin, l’élèvent au-dessus de la terre.

Pour servir de contrepoids à ce mysticisme, sur le fond duquel Origène sema l’ingénieuse richesse de ses allégories, la raison humaine mit en discussion la nature même du fondateur du christianisme ; elle ne voulut plus la confondre avec l’essence de Dieu même, père de toutes choses ; et, dans Alexandrie, où les opinions humaines, les dogmes et les systèmes semblaient se donner rendez-vous pour s’y combattre comme dans un champ clos, Arius enseigna que le fils était d’une substance différente du père, et d’une nature engendrée, variable et humaine. Les progrès de l’arianisme furent rapides ; beaucoup de chrétiens en Égypte, en Libye, dans la Thébaïde supérieure et dans la Grèce, l’embrassèrent. En se répandant vers l’Occident, les doctrines d’Arius furent obligées de prendre des tempéramens qui leur servissent de voiles et de défenses. L’Orient, qui inclinait fort aux raffinemens de la théologie et de la métaphysique, avait, pour les opinions du prêtre d’Alexandrie une partialité naturelle ; l’Occident, au contraire, rude, barbare, peu curieux de la science, répugnait à la subtilité des discussions et se précipitait dans la foi. L’Illyrie et la Pannonie s’accommodèrent d’un semi-arianisme ; mais dans l’Italie et dans les Gaules, l’orthodoxie décrétée à Nicée prévalut. L’arianisme était la protestation de la raison humaine contre un merveilleux que Celse avait, au second siècle, reproché aux chrétiens, en les accusant de l’avoir dérobé aux païens. Mais cette protestation venait dans un temps où l’humanité aimait mieux croire que raisonner, où la foi l’emportait sur l’intelligence : aussi elle agita le monde sans le convaincre et l’entraîner. Si à l’arianisme vous joignez les opinions de Pélage sur la liberté humaine et le péché originel, vous embrasserez l’ensemble des révoltes de la raison.

Le bonheur parut à plusieurs chrétiens, dès les premiers temps, une conséquence nécessaire des doctrines de l’Évangile. Un évêque d’Hiérapolis en Phrygie, Papias, prêchait l’établissement d’une Jé-