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ACADÉMIE FRANÇAISE.

mémoire, et se souvient très bien qu’il n’a pas achevé l’Histoire de la Civilisation française, et qu’il lui reste beaucoup à faire avant de pouvoir s’appliquer l’exegi monumentum dont le gratifie si libéralement M. de Ségur. En écoutant le directeur de l’Académie, le récipiendaire a dû naturellement se poser un dilemme assez embarrassant : « Ou M. de Ségur n’a pas lu mes livres, et c’est de sa part une négligence offensante, ou il les a lus et ne s’en souvient pas ; et cet oubli prive de toute valeur l’admiration qu’il exprime pour moi. » Ce n’est pas nous qui résoudrons le dilemme. Nous admettrons volontiers que l’Histoire de la Civilisation européenne suppose des lectures nombreuses ; mais nous croyons que la vie moyenne d’un homme suffit à l’achèvement d’un pareil ouvrage ; car cette histoire n’est, à proprement parler, que le programme d’un livre. Plus d’une fois, en écoutant son panégyriste, M. Guizot a dû se demander si les paroles prononcées par M. de Ségur n’étaient pas une cruelle raillerie ; car il lui était bien difficile de prendre au sérieux l’emphase de l’orateur. Pour avoir esquissé le sommaire d’une histoire, pour avoir commencé deux ouvrages importans, le récipiendaire n’est pas obligé de se placer à côté de Tacite ; et, s’il fallait en croire M. de Ségur, Tacite, auprès de M. Guizot, ne serait qu’un écolier. Dans la pieuse ferveur de son admiration, le directeur de l’Académie n’a pas même osé nommer Tacite ou Thucydide ; il n’a pas trouvé dans le passé un terme de comparaison pour louer dignement son héros. Il s’est résolu tout simplement à le proclamer excellent et inimitable.

Cependant, il s’est demandé si son amitié publiquement avouée pour le récipiendaire le dispensait de rappeler les mérites de M. de Tracy, et par ce détour ingénieux il est revenu à la philosophie française du xviiie siècle. Il a paru d’abord vouloir justifier le prédécesseur de M. Guizot et séparer la science de l’action. Mais ce n’était de sa part qu’une vaine promesse, car il s’est bientôt hâté d’avouer son impuissance à lutter avec le récipiendaire ; il s’est déclaré incapable de parler du xviiie siècle après M. Guizot, et il a courageusement ajouté : Vous avez épuisé le sujet, et ce serait folie de ma part de vouloir le traiter à mon tour. Il a présenté sur l’ensemble des facultés humaines et sur la spiritualité de l’ame quelques réflexions qui sont et demeurent pour nous parfaitement inintelligibles. Nous dirons la même chose de la diffé-