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historien, qui a toujours cherché dans le tableau des faits accomplis quelque chose de supérieur aux faits pris en eux-mêmes, de comprendre et d’expliquer sérieusement, dans une assemblée littéraire, la mission et le rôle de la philosophie française au xviiie siècle ; mais pour comprendre et pour expliquer le véritable caractère, la véritable puissance de la philosophie française, il fallait se résoudre à sortir des généralités purement oratoires, et malheureusement M. Guizot, en réduisant sa tâche aux proportions du plaisir phraséologique, en se proposant comme terme suprême l’harmonie et le nombre des périodes, n’a montré qu’inexpérience et gaucherie. Il n’a pas dit un mot qui révélât chez lui la notion précise de la philosophie française au siècle dernier, pas un mot qui indiquât la connaissance des origines de cette philosophie, l’intelligence du mouvement que la France continuait mais n’avait pas commencé ; il a parlé pendant trois quarts d’heure, et si nous exceptons quelques phrases de respect filial, bien promptement démenties, il n’a pas développé une pensée qui s’élevât au-dessus des lieux communs de collége. Il n’y a pas de rhéteur de province qui n’eût aligné en une matinée les idées vulgaires présentées par M. Guizot ; car toutes ces idées, ramenées à leur simple expression, ne vont pas au-delà du pamphlet de La Harpe, et se bornent à voir dans la philosophie française du siècle dernier le germe de la révolution qui a renversé la monarchie. Certes, pour découvrir, pour exposer un pareil truism, il n’est pas nécessaire d’avoir consacré vingt ans de sa vie à l’étude de l’histoire moderne, d’avoir contrôlé dans le maniement des affaires publiques les enseignemens de la réflexion ; il suffit de feuilleter les volumes distribués aux pensionnats de Saint-Denis et de Saint-Germain. Est-il concevable qu’un historien, un homme d’état, confonde la science philosophique et les salons philosophiques du xviiie siècle ? Est-il concevable que M. Guizot, qui partout et à tout propos se donne pour un homme grave, embrasse dans le même blâme, dans la même pitié, je devrais dire dans la même colère, la démonstration, la déduction désintéressée des vérités poursuivies par la science, et les espérances tumultueuses conçues d’après cette démonstration, mais à coup sûr profondément distinctes de la science prise en elle-même ? Que ces espérances fussent filles de la philosophie, personne ne voudra le nier ; mais un homme qui, par ses études et