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spéciales qu’il poursuit des qualités vraiment littéraires, qu’il a trouvé pour le récit des faits ou l’exposition des idées pures, pour la description des phénomènes organiques ou la déduction des propriétés de la grandeur, des ressources de langage inconnues avant lui, ou du moins égales à celles des hommes les plus habiles qui ont traité les mêmes matières. L’admission au sein de l’Académie française d’un savant qui posséderait, avec la science, le talent d’un grand écrivain, pourrait alors s’appeler un acte de sagesse ; car la langue de la science peut rendre à la langue poétique d’importans services. Elle peut, et selon nous c’est un grand bonheur, faire à la rhétorique, c’est à-dire à l’art de bien dire, pris en lui-même et indépendant de la pensée, une guerre implacable, et débarrasser l’imagination d’un luxe inutile. Mais les grands écrivains voués à l’expression d’un ordre spécial de vérités ne sont pas nombreux ; l’Académie le sait aussi bien que nous. Il y a parmi les savans, comme dans la foule, un préjugé profondément enraciné, qui dispense la science du style, et qui va même jusqu’à proclamer le danger du style dans la science. Ce préjugé repose sur la notion inexacte et incomplète du style pris en soi. Évidemment le style de l’ode ou du roman ne convient ni à la physiologie, ni à la géométrie. Mais il est raisonnable de chercher, il est possible de trouver un beau style pour l’expression des vérités physiologiques ou géométriques. S’il y a des géomètres et des naturalistes qui déclament au lieu de démontrer, c’est un malheur dont le style n’est pas responsable, et ce malheur n’arriverait pas si tous les géomètres et tous les naturalistes avaient, pour le style, un respect véritable. Quant à la science prise en elle-même, sous quelque nom qu’elle se présente, nous ne la croyons pas appelée à l’Académie française, fût-elle précédée d’une gloire européenne ; car l’Académie des sciences doit servir à quelque chose.

Mais à nos yeux, le plus impardonnable de tous les choix que puisse se permettre l’Académie française, c’est un choix politique ; sans doute l’éloquence serait une excuse, mais cette excuse serait-elle valable dans la bouche d’une académie qui a préféré M. Viennet à Benjamin Constant ? Y a-t-il une comparaison possible entre le talent oratoire de M. Berryer et celui de M. Guizot ? Assurément non. Entre M. Berryer et M. Guizot, il y a toute la différence qui