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aide. La loi de disjonction était presque inexécutable, à cause des difficultés de procédure sans nombre qu’elle élevait. Quant à l’autre, la loi de non-révélation, outre qu’elle n’a pas l’inconvénient de toucher au jury, et qu’elle n’a pas l’air, comme semblait celle-ci, d’être une vengeance contre le verdict de Strasbourg, qu’il faut subir en songeant chrétiennement aux autres profits de l’institution qui nous l’a valu, les amendemens de la chambre des pairs lui ôtent, en grande partie, le caractère de délation intime. Il y a quelque chose d’inquiétant dans ce mot de révélation ; et, en 1832, où l’on faisait encore plus la guerre aux mots qu’aux choses, la France entière (on sait que la chambre des pairs faisait à peine partie de la France en ce temps-là), la France entière applaudit quand on supprima de notre Code pénal le délit de non-révélation. C’est que toute la France n’avait pas été juge de délits politiques, c’est-à-dire placée, par la loi, dans la nécessité de condamner, avec quelques conspirateurs très sérieux, une foule de conspirateurs à la suite qui avaient médité la ruine de l’état, sans trop apercevoir les conséquences de leur complot à travers la fumée de l’estaminet, au fond duquel on allait les séduire. Quant à ces criminels obscurs, et stupides jusqu’à l’innocence, la cour des pairs et les jurés trouvaient souvent dans la loi de non-révélation, dont les peines n’étaient pas très graves, un moyen d’être clémens sans trop entamer leur conscience. Ils les jugeaient comme non-révélateurs, au lieu de les traiter comme coupables du crime de haute trahison, et un simple emprisonnement faisait justice de quelques pauvres diables, très indignes, en vérité, de monter sur l’échafaud. Ajoutez que la crainte de l’emprisonnement faisait quelquefois révéler un complot, et que d’autres fois, un conspirateur dévoilait un danger pour l’état, décidé par la certitude qu’il avait de changer de rôle en agissant ainsi. Sans doute la morale se révolte à l’idée d’une telle trahison ; mais les conspirations ne sont que des trahisons légalisées quand elles réussissent ; et quant à la révélation simple, la morale souffre bien aussi quelque atteinte de celui qui voit préparer en silence, près de lui, une machine de mort, sans avertir celui qu’elle doit frapper.

On peut contester l’excellence des moyens, mais le ministère, et particulièrement M. Molé, ont eu en cela l’intention bien formelle de défendre les jours du roi. Il n’est pas un membre de l’opposition, même de la gauche extrême, qui n’eût cherché quelque moyen semblable, si le roi s’était adressé à lui, comme il l’a dû faire à ses ministres, en les sommant de lui donner la protection dont jouit en France le plus obscur citoyen. Le moyen, en effet, quand on est ministre, de rester les bras croisés et de répondre seulement par un soupir plaintif, quand le chef de l’état vous demande, au nom de sa famille en larmes, la sécurité que son gouvernement a donnée à tous les citoyens, qui peuvent, grâce à la paix dont jouit le pays, traverser jour et nuit les cités et les routes, voyager à travers les forêts et les montagnes, sans que leur vie et leur bourse courent le moindre risque, tandis que le roi ne peut descendre l’escalier de son palais sans s’exposer à recevoir une balle ; — ou bien, si c’est un complot contre sa maison et son trône,