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REVUE. — CHRONIQUE.

tres, leur tendre la main, leur offrir son constant et parfait concours ; quand vient une circonstance décisive, et quand elle peut agir en toute liberté sous l’incognito du scrutin secret, l’esprit défiant et actif de la commune se manifeste aussitôt, et la déclaration des droits se dresse toute vivante au milieu d’elle, au moment où l’on s’y attend le moins. De son côté, le ministère apporte toujours sur son banc la pensée qu’il y représente le roi et ses prérogatives, et qu’à lui est dévolu le soin de la dignité du souverain et de sa conservation personnelle. Et c’est ici la véritable pensée qui unit le ministère ; ce qui l’a mis d’accord sur un grand nombre de questions, où il y avait d’abord divergence ; ce qui l’a empêché jusqu’à ce jour de se disperser sur des routes différentes, ce sont les dangers, c’est la situation du roi. C’est pour cela qu’on s’est empressé de présenter les lois de famille qui pouvaient encore attendre une session ; c’est ainsi que les lois politiques ont été rédigées et consenties, parce qu’on s’est dit qu’il fallait défendre le roi contre les conspirateurs et contre les assassins. On a donc fait une loi pour punir les conspirateurs et une autre loi pour découvrir les assassins, la loi de disjonction et la loi de non-révélation, auxquelles ou peut sans doute reprocher, à l’une d’être irrégulière, mais certes moins choquante et moins en dehors de nos mœurs que la trahison sous le drapeau ; à l’autre de manquer de moralité, mais qui est assurément moins immorale que tous les projets homicides, exécutés ou non, que nous avons vus depuis deux ans.

Encore une fois, voilà pourquoi le cabinet a été d’accord, voilà sur quelle pensée il s’est réuni, et comment M. Molé, le modérateur du cabinet, de l’aveu même des organes de la presse qui voudraient lui contester ce rôle et surtout l’empêcher de le jouer, a trouvé, dans le sentiment de ses devoirs, l’abnégation nécessaire pour adopter une mauvaise loi politique qu’il n’avait pas approuvée, et pour marcher momentanément dans les voies d’un système où pouvaient l’arrêter quelques-uns de ses scrupules. On nous assure même que M. Molé poussera jusqu’au bout l’accomplissement du pénible devoir de sa position, et qu’il a insisté dans le conseil, contrairement à d’autres avis, pour que la loi de non-révélation soit discutée à la chambre des pairs et présentée, dans un bref délai, à la chambre des députés. Or, il y a d’autant plus de courage dans cette résolution de M. Molé, qu’il ne se dissimule aucun des embarras que lui prépare cette discussion, et que ses anciens rapports d’amitié avec M. Royer-Collard ont dû lui apprendre que ce vieux et puissant défenseur de la légalité, sous la restauration, a lu, il y a deux jours, à ses amis intimes, un brillant discours contre la loi, où il montre, dans un curieux épisode, de Thou forcé d’aller vendre à Richelieu la tête de son ami Cinq-Mars, si la loi de non-révélation eût existé du temps de Louis XIII. Il y a sans doute plus d’un argument de ce genre dans le discours de M. Royer-Collard, dont l’esprit bien trempé n’est pas de ceux qui s’engourdissent dans le repos.

Voilà deux lois politiques qui causent de terribles embarras au ministère, et qui ne paraissent pas venir d’une manière bien puissante à son