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correct et pur qui ne s’y dément pas un seul instant, nous doutons que la partition de Stradella serve beaucoup à la renommée de M. Niedermeyer ; à vrai dire on attendait mieux de l’auteur mélancolique du Lac, et de tant d’autres pièces charmantes. Il en est presque toujours ainsi des talens gracieux et fragiles qui sortent du cercle intime pour lequel ils sont nés, et viennent s’aventurer imprudemment sur la scène. Combien il leur vaut mieux de rester toute leur vie dans ce demi-jour mystérieux, qui permet à ceux qui les affectionnent de mettre sur leurs têtes toutes les espérances de l’art ! Heureux celui qui recule de jour en jour jusqu’à sa mort cette épreuve fatale et ne vient pas compromettre, en essayant de les réaliser aux yeux de tous, ces espérances que le public n’aurait jamais cessé d’accepter comme légitimes.

On s’est beaucoup étonné de l’enthousiasme que Nourrit avait toujours manifesté par le rôle de Stradella ; il me semble que cette prédilection s’explique assez naturellement : le chanteur se sera laissé tromper, comme le musicien, par l’apparence du sujet. D’ailleurs, qui vous dit qu’il n’a pas été entraîné par une secrète sympathie vers le personnage de Stradella, et n’a point cédé à quelque impérieux désir d’exprimer ses propres sensations sous l’habit d’un homme qui fut chanteur comme lui ? Si la tentative a mal réussi, ce n’est point à Nourrit qu’il faut s’en prendre, mais aux situations dans lesquelles on l’a constamment placé ; il était au-dessus des forces humaines d’émouvoir une assemblée avec la prédication monotone que M. Niedermeyer a mise dans sa bouche. Nourrit va se hâter de revenir à son grand répertoire, c’est avec don Juan, avec Guillaume Tell, avec les Huguenots qu’il fera ses derniers adieux au public. Adieux sublimes, mais qui n’en seront pas moins tristes. Rien ne ressemble moins à la troupe de l’Opéra que celle du Théâtre-Italien. C’est là une différence si évidente qu’il paraît inutile de la démontrer. D’un côté, ce sont des talens énergiques, mûrs, accomplis, parvenus, grâce à des études immenses, et grâce surtout à la générosité de leur nature, au plus haut degré de la perfection ; de l’autre, des sujets doués de voix plus ou moins belles, mais pour la plupart dépourvues de toute agilité ; des natures dramatiques, si l’on veut, mais jusque-là vouées à l’imitation. Bonne ou mauvaise, l’inspiration de Nourrit domine tout à l’Opéra ; et si l’on excepte Levasseur, qui a eu le bon esprit de conserver certaines traditions italiennes qui lui sont propres, chacun relève immédiatement de cette inspiration. Or, l’absence du maître jettera nécessairement le désordre et la confusion parmi tous ces petits talens qui ne vivaient que de son souffle. Dès-lors, s’il est vrai que tous ceux-ci n’ont jamais eu dans l’âme que le génie de l’imitation, ils tomberont sur l’heure, et tout sera dit ; si au contraire il en est autrement, leur na-