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sent, il faut le dire, avec tant de grâce, qu’on n’a guère l’envie de le blâmer de les avoir si fort multipliées. Le chœur des élèves de Stradella abonde en intentions charmantes, et la cantilène de Léonor, qui chante la nuit à sa fenêtre comme Elvire, est pleine de mélancolie et de fraîcheur. Le second acte s’ouvre par un air de soprano, ou, pour mieux dire, par l’agitato d’un air qui se dérobe avec tant de rapidité, qu’on a peine à le suivre. La cantatrice arrive au bout tout essoufflée, et le public demeure parfaitement immobile ; il semble que M. Niedermeyer aurait dû saisir cette occasion décomposer un morceau complet et sérieux. Sans doute qu’il aura craint de déroger aux nouvelles coutumes importées à l’Académie royale de Musique. En effet, à l’Opéra, il en est aujourd’hui des airs comme des ouvertures (j’oubliais de dire qu’il n’y a pas d’ouverture à Stradella) ; depuis que Rossini s’est retiré, on trouve beaucoup plus ingénieux de n’en plus faire : voilà certes un étrange progrès. Avec ce pitoyable système de couper court à tout développement nécessaire et de rogner sans cesse les ailes à la musique, on en viendra, tôt ou tard, à ne plus rassembler, dans une partition, que des motifs incohérens, tumultueux, et dénués de tout enchaînement logique. L’effet est aujourd’hui ce qui préoccupe avant tout le musicien, et, dans son ardeur d’y arriver, il saute à pieds joints sur toutes ces nuances divines à travers lesquelles passaient pour y parvenir les grands maîtres de tous les temps. On commence un air par l’agitato, un finale par la strette. De gradation habile, il n’en faut plus parler. Et qu’on ne s’y trompe pas, toutes ces belles découvertes sont autant de concessions faites au mauvais goût envahissant. Plus de salut hors les timballes et les instrumens de cuivre ; toute affaire de sentiment et de passion est retranchée comme chose inutile et parasite : heureusement que ces inventions sublimes portent en elles le germe de leur propre ruine. Le plus souvent l’effet échoue, les applaudissemens auxquels on a tout sacrifié n’arrivent pas, et cela s’explique. La strette par elle-même n’est rien ; elle n’a guère d’action qu’autant qu’elle résume l’air tout entier. La strette, c’est le plus haut degré d’enthousiasme où se puisse élever une passion qu’on a suivie à travers toutes ses périodes de trouble, de mélancolie et de douleur. Que dirait-on d’un homme qui, tout à coup, sans excuse, entrerait en fureur, sinon qu’il est fou à lier ? Ainsi de la musique : lui ôter ses gradations et ses nuances, c’est la rendre folle. D’ailleurs, quel effet peut-on attendre d’un fragment qui ne se rattache à rien, d’une sorte de tronçon dont la tête n’existe pas ? Le public ne sait ce qu’on lui chante ; il voit un comédien qui se démène comme un furieux, et pour s’occuper de l’action qui se joue, il attend que ce gaillard-là se soit calmé. — Le duo entre Léonor et Stradella contient un motif d’une élégance rare, et qui passe de la voix de ténor à la voix de soprano avec une expression toujours