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grâce un peu aussi à l’absence complète d’hommes supérieurs, M. Niedermeyer se serait trouvé naturellement porté au premier rang des musiciens qui alimentent la scène du produit de leur génie. Si je ne me trompe, M. Halevy a procédé de la sorte, et cela lui a réussi. Tout au contraire, on n’a pas voulu suivre la marche accoutumée ; des flatteurs mal avisés ont forcé la modestie de M. Niedermeyer ; des amis maladroits ont eu de la présomption pour lui ; on s’est étourdiment aventuré dans une entreprise des plus vastes ; on est tombé pour n’avoir pas essayé ses ailes avant de voler.

La musique de M. Niedermeyer ne peut guère se définir ; on aurait peine à dire à laquelle des deux écoles elle appartient. Ce n’est pas qu’elle ait le moins du monde l’air d’en vouloir fonder une. En général, l’instrumentation est traitée avec plus de soin que les Italiens n’en apportent aujourd’hui dans leurs compositions ; et, quant à la mélodie, M. Niedermeyer paraît l’affectionner plus que n’ont coutume de le faire les partisans de la nouvelle école allemande. Voilà, certes, des qualités généreuses et bien dignes de succès. Malheureusement le souffle poétique manque à tout cela. Cet orchestre semble vide et décoloré ; on dirait que la plupart des instrumens demeurent inactifs, et cependant tous chantent et sonnent à la fois. C’est que pour évoquer les puissances instrumentales, il ne suffit pas d’être un homme de goût ; c’est que, dans l’orchestre même, le siége de son empire, la science ne règne pas seule ; c’est que les grands effets d’harmonie relèvent de l’inspiration bien autrement que de l’art stérile des combinaisons. La mélodie ne manque pas ; mais telle est sa nature indécise, sa complexion délicate et faible, qu’elle vous échappe presque toujours, et qu’il faut s’y prendre à trois fois pour la saisir. Or, je doute que le public ait cette patience. Il vaudrait mieux pour cette musique d’être tout-à-fait italienne. Sans doute qu’elle aurait puisé dans le rhythme une force vitale qu’on regrette de ne pas trouver en elle. À vrai dire, quand on n’est pas un homme de génie, appelé à tout régénérer dans l’art, ce qu’on a de mieux à faire, c’est d’entrer franchement dans une école. Voyez Donizetti, il est arrivé au milieu du plus beau triomphe de Rossini, et s’est mis tout simplement à composer dans le cercle tracé par le plus grand musicien de ce temps ; il s’est jeté comme un ruisseau dans ce fleuve sonore, dont il a suivi la pente. Et certes, jusqu’à ce jour, il n’a pas eu de quoi se plaindre. Je sais qu’il est fort glorieux d’être un homme de génie, et surtout fort agréable de se l’entendre dire tous les matins ; mais entre tous ceux qui se croient appelés combien d’élus ? D’ailleurs ce sacerdoce de l’art que chacun veut accomplir, cette mission que tout échappé du Conservatoire croit avoir, tout cela ce sont paroles vides et creuses, autant en emporte le vent. De toute façon vous courez la même chance.