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REVUE MUSICALE.

L’épreuve de l’Opéra est décisive, on ne la tente guère deux fois. S’il y a dans la vie d’un musicien une heure grave et solennelle, c’est bien celle où son œuvre se produit dans cette vaste enceinte. Ce soir-là il s’agit de son avenir et de sa vie : on l’adopte avec acclamation, on le proclame maître, ou l’on sort sans même s’enquérir de son nom. Malheur au nom qui reste obscur après cette épreuve de lumière. Une soirée à l’Opéra change la destinée d’un musicien ; c’en est fait de lui, et pour toujours, s’il ne sort pas vainqueur de l’arène. C’est là qu’un homme commence ou qu’il finit. L’Opéra est comme un sommet où viennent échouer et mourir les talens médiocres et débiles qui vivotaient dans des régions plus basses, et d’où les autres, plus forts et plus hardis, prennent leur essor vers le ciel. On vous donne un orchestre magnifique, des chœurs nombreux, des chanteurs plus ou moins habiles, plus ou moins inspirés, mais, après tout, les meilleurs qui soient en France ; on taille en plein pour vous dans le satin et le drap d’or ; on vous bâtit Rome ou Venise, le Capitole ou le palais ducal, selon qu’il convient à votre fantaisie. Oui, mais aussi quelle responsabilité immense pèse sur vous, quel travail il vous faut accomplir ! Vous êtes la voix de ces instrumens, le corps de ces habits, le soleil qui éclaire ces palais, la seule ame de tout ce monde. Il faut que vous gouverniez durant quatre heures cet orchestre ; et prenez garde, vous ne le tromperez pas : il connaît la mesure de ses forces, il sait à quels effets sublimes il peut s’élever ; Rossini et Meyerbeer lui ont appris ses plus mystérieuses ressources. Il faut que vous écriviez pour ces chanteurs des rôles dans lesquels ils puissent se produire dignement et se faire bien