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avait faite, il y avait peu d’années, sans lui laisser douleur ni trace, avait apporté quelque dérangement dans son être.

Cet amour durait depuis des saisons et composait, après tout, un rare bonheur dans une exacte fidélité, sans aucune des coquetteries du monde ni des échecs du dehors ; il n’était troublé que de lui-même et par des torts légers. Un jour qu’ils étaient à une grande fête de Sceaux (quand la duchesse du Maine, dans les années qui suivirent sa prison, eut rouvert sa cour), la soirée avait été belle ; la nuit étoilée repoussait de sa blancheur les flambeaux qui luttaient avec elle d’éclat ; les promenades s’étaient prolongées tard dans les parterres, au bruit des orchestres voilés, et les couples fuyans et reparus, les clartés scintillantes dans le feuillage, les douces bizarreries des ombres sur les gazons, devenaient une magie complète où ne manquait pas le concert des deux amans. M. de Murçay, après les lents détours vingt fois recommencés, salua Mme de Pontivy, comme pour retourner à Paris cette nuit même, y ayant une affaire dès le matin ; il promettait d’être de retour à Sceaux au réveil des dames. Elle lui dit : « Quoi ? vous ne restez pas ? » — « C’est impossible, répondit-il ; j’ai promis ; » et il répéta qu’il serait de retour au lever même. Mais cette idée, après une nuit presque toute passée ensemble dans les bosquets, de coucher encore sous le même toit (même sans aucune autre facilité de tendresse), cette pure idée lui échappa : il eut un tort. Le lendemain au réveil, il était là, il avait dévoré le chemin. Mais l’impression n’était pas la même : « Oh ! ce n’eût pas été ainsi dans les premiers temps, » lui dit-elle alors, en respirant tristement la rose et le réséda du matin qu’il lui offrait ; et elle le fit souvenir du sentiment délicieux qu’elle avait eu en dormant chez lui à la campagne, sous son toit, dans ce premier printemps : « Oh ! alors ce n’eût pas été ainsi, « répétait-elle. Il comprit qu’il avait manqué ; il se confessa coupable de n’avoir pas saisi à l’instant cette même impression. Mais la passion de Mme de Pontivy avait souffert, et elle travaillait sur elle-même, pour la diminuer, disait-elle, et la mettre à ce niveau de raisonnable tendresse.

« Allez ! lui disait-elle encore d’autres fois, l’âge arrive, le cœur se flétrit, même dans le bonheur ; je n’aurai plus tant d’efforts à faire bientôt pour éteindre en moi ce dont votre juste affection se plaint, cette flamme imprudente ou elle se brûle. » Et il la rassu-