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MADAME DE PONTIVY.

quoi ? partirez-vous ? » s’écria-t-il ; et il l’interrogeait bien moins qu’il ne l’implorait. — « Oh ! je le devrais, répondit-elle avec pleurs, je le devrais pour lui, pour moi. Ma fille, il est vrai, est un lien ; mais, ma fille !… pour elle aussi je devrais partir ; … et je ne puis, je ne puis ! » Et elle cachait sa tête dans ses mains avec sanglots. Il s’approcha d’elle, et mit un genou en terre ; elle ne le voyait pas. Il lui prit une main avec force et respect, et sans lever les yeux vers elle : « À toujours ! lui dit-il ; partez, restez, vous avez ma vie ! » Mme de Noyon, qui ne tarda pas à rentrer dans le cabinet de verdure, rompit leur trouble. Une vie nouvelle commença pour eux. La souffrance de Mme de Pontivy se changea par degrés en une délicieuse rêverie qui, elle-même, à la fin, disparut dans une joie charmante. M. de Murçay avait une terre voisine de celle de Mme de Noyon. Ces dames l’y vinrent voir durant toute une semaine, et il put jouir, à chaque pas, dans ses jardins et ses prairies, de l’ineffable partage d’un amant sensible qui fait les honneurs de l’hospitalité à ce qu’il aime. Quant à elle, la seule idée d’avoir dormi sous le même toit que lui, sous le toit de son ami, était sa plus grande fête et l’attendrissait à pleurer.

L’hiver, à Paris, multipliait les occasions naturelles de se voir chez Mme de Noyon et ailleurs ; leur vie put donc s’établir sans rien choquer. Les assiduités de M. de Murçay, même lorsqu’elles devinrent continuelles, changèrent peu de chose à la situation extérieure de Mme de Pontivy. La plus prudente discrétion, il est vrai, ne cessait de régler leurs rapports. Et puis, le monde, ayant voulu d’abord absolument que Mme de Pontivy fût une héroïne conjugale, tint bon dans son dire. Cela arrangeait apparemment : Mme de Pontivy était à peu près la seule en ce genre, et le monde, qui a besoin de personnifier certains rôles, lui garda le sien, dont aucune femme, il faut le dire, n’était bien jalouse. Ce fut donc comme une utilité convenue, dans les propos du monde, que ce rôle de dévouement assigné à Mme de Pontivy ; et je ne répondrais pas que bien des femmes n’aient cru faire une épigramme piquante, en disant d’elle et de ses rêveries, comme Mme du Deffand ne put s’empêcher un jour : « Quant à Mme de Pontivy, on sait qu’elle n’a de pensée que pour son prochain absent. »

La passion, telle qu’elle peut éclater en une ame puissante, illu-