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reportait en arrière, et ce temps, dont il n’aurait pas voulu la continuation, il le regrettait par une sorte de contradiction singulière, et qui n’est pas si rare. En un mot, ses mœurs et ses rêves d’idéal étaient assez au rebours de ses autres opinions, et, comme on aurait dit plus tard, de ses principes. Cette espèce d’opposition s’est depuis rencontrée souvent, mais jamais, je crois, dans une nature d’ame plus noblement composée et mieux conciliante en ses contrastes que celle de M. de Murçay.

Par sa condition dans le monde et ses avantages personnels, il avait d’ailleurs conservé assez d’accès et de crédit, un crédit toujours désintéressé. Lorsqu’il vit chez Mme de Noyon cette jeune nièce, belle et naïve, redevenue ou restée un peu sauvage malgré l’éducation de Saint-Cyr, si sincèrement occupée d’un mari qui l’avait mise en de cruels embarras, et apportant un dévouement vrai parmi tant d’agitations factices, il en fut touché d’abord et demanda à la tante la permission d’offrir à Mme de Pontivy, avec ses hommages, le peu de services dont il serait capable. Il fut agréé et se mit à solliciter, pour elle, dans une affaire de plus en plus désespérée.

À force de voir Mme de Pontivy, de s’intéresser à ce mari en fuite, de chercher du moins à maintenir les biens, à force de visiter les gens du roi convoqués à l’Arsenal, et de rapporter son peu de succès à la cliente qu’il voulait servir, il l’aima, et ne put plus en douter un soir que son cœur, comme de lui-même, se trahit. Mme de Pontivy était plus charmante ce soir-là que de coutume ; la mode des paniers, qu’elle adoptait pour la première fois, faisait ressortir la finesse d’une taille qui n’en avait pas besoin ; une langueur plus douce semblait attendrir sa figure, soit que ce fût l’effet de la poudre légère répandue sur ses boucles de cheveux jusque-là si bruns, soit que ce fût déjà un peu d’amour. On venait de s’entretenir avec feu du désastre du système, et la perte que plus d’un interlocuteur y faisait, avait animé le discours. On y avait mêlé, avec non moins de zèle, l’enregistrement de la bulle. L’affaire de Mme de Pontivy, venant après sur le tapis, profita d’un reste de ce feu et de ce zèle. Chacun ouvrait un avis et essayait un conseil. Il faut dire encore que la figure et la situation de Mme de Pontivy commençaient à faire bruit, que ce dévouement, si naturel chez elle et si simple, allait lui composer, sans qu’elle