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MÉMOIRES DE LAFAYETTE.

l’entremise du comte de Lamark sous les auspices de Mirabeau, connue seulement du baron de Breteuil qui était mal avec les princes émigrés, se continuait par une correspondance très secrète avec le marquis de Bouillé. On devait se diriger vers Montmédy ; M. de Bouillé avait rassemblé près de cette place un corps de troupes dont la jonction avec les Autrichiens eût été facile, et dont l’objet, avoué par lui, comme il le fut dans le manifeste que le roi laissa en partant, était de détruire l’ordre constitutionnel. Les confidens à Paris étaient le comte de Fersen, trois gardes-du-corps et vraisemblablement M. de La Porte. La lettre ultra-patriotique envoyée aux ambassadeurs avait été regardée comme un moyen d’endormir la vigilance parisienne. Peut-être aussi fut-on bien aise de montrer que la démission du commandant-général ne nuisait pas au patriotisme du roi ; mais celui-ci, qui avait le secret de Lafayette[1], n’aurait pas dû se prêter à cette fausseté gratuite et inexcusable.

Ce fut sans doute une précaution à laquelle Lafayette, dans ses sentimens personnels pour Louis XVI, eut l’imprudence de se confier, que de lui parler franchement des bruits qui couraient et qui s’étaient plus généralement renouvelés depuis quelques jours. Ce prince, dont on ne peut trop déplorer le manque de sincérité dans cette occasion, lui donna des assurances si positives, si solennelles, qu’il crut pouvoir répondre sur sa tête que le roi ne partirait pas. Sa confiance dans la parole du malheureux Louis XVI fut telle, que lui-même et les chefs de la garde nationale éprouvaient quelques remords des précautions qu’ils avaient à prendre ; aucune cependant ne fut négligée.

Le 20 au soir, Lafayette, en se retirant, passa chez Bailly, qui avait reçu par le comité des recherches quelques dénonciations nouvelles, comme il en arrivait souvent ; et, sans y croire plus que Lafayette, il fut convenu que celui-ci passerait aux Tuileries pour faire part de cette circonstance à Gouvion, major-général, auquel il ordonna de réunir les principaux officiers de garde et de les engager à se promener dans les cours pendant la nuit.

C’est après avoir fait ce qu’on appelait le coucher du roi, où as-

  1. Le roi savait que le général Lafayette n’avait donné sa démission que pour maintenir la garde nationale dans le respect de la constitution et de la liberté.