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DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA BOURGEOISIE.

la possession de la terre avec l’exercice actif d’une industrie. Peu de générations s’écouleront avant que les propriétaires amateurs ne deviennent tous des propriétaires utiles, acceptant de l’agriculture non plus ses distractions et ses plaisirs, mais ses théories savantes et ses pratiques laborieuses, ses sueurs quotidiennes et ses chances incertaines. On ne pourra maintenir long-temps en France la distinction si comprise encore en Angleterre entre la landed-property et la monneyed-property. Voyez déjà depuis vingt ans nos grands propriétaires de forêts devenus presque tous maîtres de forges ; et l’une des découvertes capitales du siècle, la distillation de la betterave, ne va-t-elle pas créer l’association la plus étroite de l’industrie manufacturière avec la culture agricole ? Les nouveaux assolemens qui s’introduisent dans nos provinces reculées, depuis la garance et le colza jusqu’à la pomme de terre à convertir en fécule, n’altèrent-ils pas tous les jours les habitudes immobiles des propriétaires fonciers ? Nous sommes bien près d’une époque où les colonnes du rentier paternel ne fixeront plus le chiffre du budget annuel ; il faudra payer de sa personne et de sa pensée, soutenir des concurrences, essayer les méthodes nouvelles, deviner les débouchés ; en un mot, être constamment de sa personne à la queue de sa fortune pour l’empêcher de s’envoler.

Il faut le reconnaître, les besoins s’étendent trop chaque jour pour qu’on se résigne à vivre sans stimulant dans l’oisive obscurité d’une ville ou sur son champ héréditaire, sans essayer d’étendre son aisance, au risque même d’y compromettre son bonheur. L’on comprend les habitudes casanières, lorsque l’horizon a pour centre le clocher de la ville natale, et qu’on trouve, pour ainsi dire, toute sa vie sous sa main. Mais aujourd’hui que les influences parisiennes descendent jusqu’au fond du dernier hameau, y soufflant des rêves d’ambition et de gloire, associant les plus humbles existences aux plaisirs les plus délicats de l’intelligence et du goût ; bientôt surtout que les distances auront disparu, que les villes déverseront sans cesse, au sein l’une de l’autre, leurs flots pressés et confondus, une immense révolution ne se consommera-t-elle pas dans les mœurs comme elle s’est opérée dans les lois ? révolution mêlée de biens et de maux comme toutes les grandes révolutions humaines ; œuvre providentielle qui ne s’arrêtera pas