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machine aristocratique de l’Angleterre, ceux pour qui la dignité des formes et la fixité des traditions sont une condition essentielle du pouvoir, ont quelque peine à se faire aux allures égoïstes et tâtonnantes de la bourgeoisie aux affaires. Celle-ci se livre sans hésiter au seul intérêt du jour ; l’avenir et le passé sont de peu de poids pour elle ; elle ne se drape ni pour fixer les regards de la postérité, ni pour être digne des ancêtres ; d’un autre côté, elle reste complètement étrangère à cet entraînement des passions démocratiques qui ne résistent ni à l’amorce d’une victoire, ni à la séduction d’une idée.

Casimir Périer, ce Richelieu de la bourgeoisie, qui mitraillait la république et contenait l’Europe, traça tout le programme de la politique bourgeoise lorsqu’il s’écria le premier : Le sang de ses enfans n’appartient qu’à la France, paroles solennelles qu’à chaque occasion critique le pouvoir peut répéter avec confiance, assuré qu’elles seront toujours applaudies, alors même qu’on les invoquerait pour pallier une faute.

Cette politique au jour le jour, sans lointaine prévision comme sans fixité, se comprend et se justifie lorsque la vie publique est de plus en plus absorbée dans la liberté croissante de la vie individuelle, et quand les affections se concentrent au foyer domestique. On n’a pas à réclamer de la bourgeoisie ce dévouement exalté qui n’est pour l’aristocratie militaire que la compensation de ses avantages ; elle ne saurait porter aux affaires ces inflexibles et habiles traditions politiques qui sont la force des patriciats. Qu’on ne s’y trompe pas cependant, et qu’on n’induise pas de ces paroles des conséquences qui pourraient paraître en désaccord avec des opinions antérieurement émises, auxquelles les évènemens qui se déroulent nous font tenir de plus en plus. Nous n’estimons pas que l’heure du repos ait encore sonné pour la bourgeoisie française, et la plus grande faute du pouvoir, celle qui entraîne déjà pour lui, comme pour la société, de dangereuses complications, c’est d’avoir cru qu’il pouvait la désintéresser soudain de toute action extérieure. Pour que la bourgeoisie entre complètement dans les voies pacifiques et productrices qui lui sont naturelles, il faut d’abord que la position de son gouvernement soit bien fixée en face de l’Europe, et que le grand nom de la France soit prononcé avec respect de Saint-Pétersbourg à Madrid. Il est impossible de fonder