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DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA BOURGEOISIE.

s’introduise en Angleterre sous le nom de réforme, en Espagne sous celui de statut royal, en Allemagne et en Hongrie sous le couvert du progrès commercial. Le système de paix qui domine depuis 1830, et auquel la Russie semblait seule assez compacte pour résister, est à la fois, pour la bourgeoisie, le gage de sa force et la consécration de ses destinées. Toutefois, en France seulement, elle est arrivée à posséder le pouvoir dans cette plénitude et cette sécurité qui permettent à un principe de développer largement ses conséquences. C’est donc en France que la bourgeoisie doit être étudiée comme sur son terrain classique ; c’est là qu’on peut observer d’un même coup d’œil tous ses instincts et toutes ses tendances.

Elle n’a plus rien, en effet, en face d’elle, qui puisse désormais la contraindre à dévier de sa pente naturelle. Après avoir été long-temps occupée, soit à vaincre, soit à se défendre, il semble qu’elle n’ait désormais qu’à se rendre digne d’un rôle qu’on ne lui conteste plus le droit de jouer. D’un côté gisent les débris du parti qu’elle a supplanté, dont la destinée très prochaine est de s’absorber dans son sein ; de l’autre s’élève une faction qui n’était dangereuse qu’autant qu’elle n’était pas démasquée : école militaire et conquérante qui osait se dire américaine, parti de soldats et de proconsuls, qui songe bien plus à se ruer sur le monde qu’à organiser la liberté, et dont la longue carrière, du club des jacobins à nos sociétés secrètes, est jalonnée par l’assassinat juridique ou l’assassinat clandestin. La bourgeoisie occupe donc en France le devant de la scène, comme la démocratie le tient aux États-Unis. À mesure qu’il devient plus manifeste que la France échappe à la domination du parti militaire ou républicain, et qu’elle repousse cette vie d’agitations fébriles et d’ardentes paroles qu’interromprait le silence du despotisme, il est aussi d’un intérêt plus pressant d’étudier le génie de la classe à laquelle la Providence a commis les destinées du monde politique. Cette étude serait, j’ose le dire, le sujet d’un grand et beau livre : nous lui consacrerons ici quelques courtes réflexions.

Quelles sont les mœurs politiques de la bourgeoisie ? dans quelles formes constitutionnelles tenteront-elles de s’encadrer ?

Les publicistes classiques qui ont étudié la science du gouvernement dans les sociétés de parade de l’antiquité et dans la grande