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DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA BOURGEOISIE.

rer le sort des populations laborieuses et souffrantes, qui voient si souvent se changer en une charge terrible les plus précieux dons du ciel ; nul ne croit plus fermement qu’à la moralité religieuse et à l’instruction primaire il appartient de leur rendre une dignité dont la conscience s’est si déplorablement obscurcie. Ne nous exagérons pas cependant les résultats de ces progrès probables ; sachons bien que si l’un des principaux effets de l’augmentation de la richesse publique est de rendre moins pénible la condition de la classe la plus nombreuse, rien n’indique cependant, malgré des assertions tranchantes, que l’avenir doive changer les lois du travail en Europe, en substituant l’association au salaire, suivant la formule bien connue. Je ne sais, hélas ! qu’un moyen pour résoudre ce problème si remué de notre temps : c’est d’avoir à sa porte la vallée du Mississipi, où le salarié se jette, un léger capital à la ceinture et une hache à la main, pour devenir associé à son tour. Mais tant que les rangs de la population française se presseront dans un étroit espace, tant que le prix du salaire sera déterminé par la somme des besoins combinés avec les moyens d’y satisfaire, la division de la société en une bourgeoisie disposant des instrumens du travail, et un prolétariat placé sous sa dépendance, paraît une rigoureuse nécessité. Or, la bourgeoisie possède aujourd’hui les capitaux et l’instruction spéciale ; le double levier de la banque et de la science est placé entre ses mains comme pour soulever le monde ; et, personne ne l’ignore, la science et la banque sont les conditions nécessaires de ce développement industriel. Dès-lors il semble bien plutôt destiné à consolider la puissance de la classe riche et lettrée qu’à la faire partager à d’autres.

Tenons enfin les yeux ouverts sur ce qui se passe dans les deux mondes, et comprenons bien que si le grand mouvement financier, dont la mission est d’entraîner les peuples vers des destinées meilleures, quoique si vagues encore, rencontre quelque part des résistances profondes, c’est surtout au sein de la démocratie considérée comme parti politique. Aux États-Unis, toutes les antipathies populaires se résument dans la guerre à la banque. Le vieux soldat que la démocratie appelle à sa tête consacre huit années à saper l’institution à laquelle sa patrie est en partie redevable de sa fabuleuse prospérité, et qui seule lui