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tout parce qu’elles sont douces ; or, la double croyance que le travail manuel est incompatible avec l’exercice élevé de la pensée, et que la capacité intellectuelle est en même temps la source et la règle des droits politiques, paraît moins ébranlée que jamais, quelque fausse application qu’on en puisse faire ; et je considère l’usage d’attacher, soit à certaines professions libérales, soit à un cens représentatif d’une position indépendante, la présomption légale de la capacité politique, comme devant présider long-temps encore aux destinées des peuples européens.

L’opinion qui conclut l’avénement définitif de la démocratie du triomphe de la classe moyenne, nous semble reposer sur une analogie inexacte. De ce que la bourgeoisie, plus nombreuse que la noblesse héréditaire, a fini par la supplanter, l’on en infère que le peuple fera cesser à son tour le monopole déféré par les institutions actuelles à une certaine portion de la société, et l’état apparaît comme une pyramide élargissant incessamment sa base. Mais n’est-ce pas perdre de vue que la bourgeoisie, enrichie par le commerce et les affaires, initiée à la vie publique par son esprit légiste, et digne aujourd’hui du pouvoir, moins parce qu’elle l’a conquis que parce qu’elle a su le défendre, réunit toutes les conditions requises en Europe pour l’exercer, tandis que les masses populaires, quelque amélioration que puissent apporter à leur sort la charité chrétienne et la sollicitude du pouvoir, resteront forcément en dehors des conditions de lumière et de propriété qui, pour les peuples du vieux continent, sont la garantie en même temps que le signe de l’aptitude politique ? La révolution française a changé le personnel de la classe gouvernante et non les bases de la société ; le triomphe de la démocratie impliquerait la subversion de ces bases elles-mêmes.

Nous avons parlé des lumières, parlons de la propriété. Voyons si le grand mouvement industriel, dont tout annonce en effet l’aurore, est de nature à créer au sein de la démocratie une masse d’intérêts nouveaux qui permette de commettre avec quelque sécurité le sort de la société à la discrétion de la majorité numérique.

Si au-delà de nos frontières s’étendaient des déserts sans maître, on comprendrait que la masse de la propriété pût s’accroître et le nombre des propriétaires avec elle. Mais ayant au plus le