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DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA BOURGEOISIE.

daient sur leur race. Égaux par là, égaux surtout par cette foi qui élève les humbles et abaisse les superbes, la supériorité intellectuelle devait être peu sensible ; elle ne pouvait d’ailleurs manquer de s’effacer dans l’uniformité de cette vie laborieuse.

D’un autre côté, les colons de la Nouvelle-Angleterre furent visiblement prédestinés à se gouverner par eux-mêmes. Le lien qui les rattachait à la mère-patrie ne les dispensait de pourvoir ni à leur défense ni à leurs progrès sans cesse croissans. Leur éducation fut forte et rude comme eux ; et ce qui avait été d’abord une nécessité de position devint bientôt une invincible habitude. La commune naquit donc aux rivages de l’Atlantique dans ses conditions d’activité incessante et de parfaite harmonie, auxquelles notre Europe libérale tente de suppléer par des articles de journaux et des prédications de tribune. Cette commune de pieux travailleurs a grandi sous le ciel comme l’arbre de l’Évangile ; et le génie des premiers émigrans a frappé de son inaltérable empreinte ce peuple dernier-né de la civilisation, aux travaux duquel la Providence a livré un monde, pendant qu’elle en livrait un autre à nos disputes.

Ainsi se sont formés les États-Unis, phénomène exceptionnel au sein des sociétés politiques, comme une congrégation religieuse l’est dans la vie chrétienne. L’Yankee de la Nouvelle-Angleterre, sévère chrétien et colonisateur intrépide, hardi parieur, aux mœurs froides et réglées, dont l’imagination ne s’échappe guère que dans ses colonnes de chiffres et ses spéculations gigantesques ; l’Yankee est demeuré pour l’Amérique le type vivant dont ses développemens l’écartent chaque jour de plus en plus, mais auquel le génie de la conservation tend sans cesse à la ramener. Les primitifs états du nord ont fondé ces jeunes républiques de l’ouest, auxquelles est commis le plus vaste héritage qu’il ait été donné à la race humaine de recueillir ; et les états du sud, où la grande propriété, le luxe et l’esclavage avancent chaque jour l’œuvre de la décadence, ne se maintiennent, à bien dire, que par l’énergique contrepoids que le nord oppose, au sein de l’Union, à l’action combinée de ces causes dissolvantes.

Ce qui a fondé la démocratie américaine et ce qui la conserve, c’est donc la puissance des mœurs unie à l’immensité d’un territoire sur lequel tous peuvent s’étendre sans se heurter, comme les