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REVUE. — CHRONIQUE.

population turque est présentée comme très inquiète de la décision de l’Angleterre, et où l’on s’efforce de prouver, par des assertions un peu puériles, de quelle importance il est pour la Grande-Bretagne de disputer pied à pied la côte de Mingrelie au gouvernement russe, qui veut définitivement s’y établir. Dans notre dernière lettre politique, nous donnions des raisons plus importantes même que celles du Morning-Chronicle, et cependant il est douteux que l’Angleterre fasse la guerre à la Russie pour le blocus de la côte d’Abasie, elle qui a souffert tous les traités qui ont amené cette puissance sur cette rive de la mer Noire. L’Angleterre menacera seulement la Russie, qui ne cédera pas, parce que tout son avenir commercial se trouve renfermé dans ces trente lieues de côtes. Déjà nous avons dit que la Russie avait rejeté d’avance la médiation du gouvernement français ; nous savons qu’elle a fait la même notification à l’Autriche ; double démarche qui pourrait bien créer un lien commun entre la France et l’Autriche, vu l’intérêt qu’ont ces deux puissances d’empêcher une guerre entre leurs alliés respectifs. Il est rare de trouver la diplomatie russe en faute quand il s’agit de ses intérêts ; aussi nous nous hâtons de constater celle-ci.

Le Morning-Chronicle a énuméré les motifs qui doivent décider le gouvernement anglais à arrêter la marche des Russes sur la côte de Circassie. Voici quelques-unes des raisons que le gouvernement russe a devers lui pour s’emparer, à tout prix, de ce territoire. On verra que la France n’est pas aussi désintéressée dans la question que l’imaginent nos écrivains politiques.

Le territoire que l’empire russe a acquis ou conquis au-delà du Caucase, est destiné à doubler la richesse de la Russie, à devenir ce que Saint-Domingue était pour la France ; immense territoire qui a une étendue de 500 werstes de large sur mille werstes de longueur, sous le ciel le plus favorable, couvert d’une population laborieuse, placé entre deux mers (la mer Caspienne et la mer Noire), dont l’une ouvre une route commode pour expédier les produits du midi de l’empire, des ports de la Mingrelie, en Turquie, et dans toute l’Europe, et dont l’autre offre une voie de transport peu coûteuse, pour approvisionner, par Astrakan, tout l’intérieur de l’empire, et l’inonder des produits transcaucasiens. Or, l’énumération seule de ces produits est de nature à faire réfléchir tous les peuples commerçans. Ce sont les grains de toute espèce, maïs, riz, etc. ; les produits naturels propres à la fabrication, et les objets manufacturés, coton, vin, tabac, bois de construction, chanvre, etc. ; les plantes oléagineuses ; les plantes propres à la teinture ; les épices, les plantes médicinales les plus usuelles, la soie, la cire et le miel ; le bétail, tel que chevaux, ânes, mulets, bœufs, moutons, porcs et chèvres soyeuses ; les fourrures, l’alun, le sel, le sel naturel de Glauber, les naphtes et les métaux. Le gouvernement russe ayant vu, sur le rapport des missionnaires, que le coton à longue soie avait été naturalisé et cultivé avec succès dans les provinces de la Chine qui s’étendent jusqu’au 41° nord, où les fleuves gèlent pendant l’hiver, a pensé avec raison qu’il réussirait au-delà du Caucase, entre le 39° et le 43°, dans un pays protégé contre les vents du nord par de hautes