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REVUE LITTÉRAIRE.

s’efforce de propager ses goûts ; il tente de convertir le lecteur à l’anthropophagie ; il le convie au cruel festin :

Du regard partageons le repas…
Ces nègres, après tout, sont fils de la nature ;
Nous déguisons la chair, ils la dévorent pure.

Cette simplicité, selon le poète, est bien préférable à tous les raffinemens de notre art culinaire. Mais il ne s’en tient pas à approuver hygiéniquement l’anthropophagie, il l’exalte sous le point de vue moral ; il idéalise l’appétit de l’anthropophage ; il le transforme en une noble passion :

N’est-ce donc pas là plus qu’un besoin animal ?
Il y a passion dans cette frénésie.

La conclusion de cette pièce résume bien tout le système barbare et sauvage de l’auteur. Les enseignemens qu’il en tire ne vont à rien moins qu’à prouver que nos législateurs n’ont consacré qu’un préjugé, quand ils nous ont défendu de nous entre-dévorer, que les scrupules de la civilisation ont dénaturé le cœur humain. L’homme de la nature ne nous est-il pas en effet bien préférable ?

Pour lui la passion n’est pas une imposture
Couverte bassement du masque de l’ardeur ;
Sa haine veut le sang et son amour la flamme ;
L’homme civilisé n’a déjà plus cette ame !

Nous pouvons le dire hautement, nul n’a le droit de contester l’esprit libéral de notre critique. Nous n’avons fermé notre porte à personne ; nous avons accueilli les poètes et les romanciers de tout genre, de toute classe, de toute école, si humbles et ignorés qu’ils fussent. Nous avons patiemment examiné leurs causes ; nous avons lu courageusement leurs vers et leurs romans illisibles ; nous leur avons rendu la justice la plus impartiale et la plus clémente que nous avons pu. Dans notre extrême désir de prononcer quelques arrêts favorables, nous avons plus d’une fois pardonné à la forme en faveur du fond, ou au fond en faveur de la forme. Ici l’intérêt de la société et de la civilisation doit l’emporter sur tout sentiment d’indulgence. Peut-être, dans les vers de l’auteur de Il Tormento, la forme n’est-elle pas tout-à-fait aussi odieuse que le fond, le style aussi barbare que la pensée. Peu s’en faut pourtant. En tout cas, nous condamnons également chez cet écrivain le fond et la forme, la pensée et le style. Point de pitié pour un poète impitoyable. Il ne sera pas dit que nous avons encouragé une poésie qui nous prêche de manger notre prochain.


……Y