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compose. Ou bien, comme Hamlet, elle prend dans sa main une tête de mort, et lui répète, en vers de sa façon, l’amère apostrophe que faisait le prince danois au crâne du pauvre Yorick.

Ce n’est cependant pas toujours à ces lugubres sujets que Mme Anaïs Ségalas demande ses inspirations et ses enseignemens. Elle puise dans la joie innocente du bal une philosophie aimable et douce qui convient bien à un poète coiffé de perles et en robe de gaze. Le refrain de la morale épicurienne d’Horace, c’était : « Couronnons-nous de roses, buvons le falerne à pleine coupe ; » le refrain de Mme Anaïs Ségalas, c’est : « Jouissons, enivrons-nous des parfums du bal, dansons ; » viens, dit-elle, ranimant l’ardeur du jeune danseur fatigué :


Viens, l’huile brûle encor dans ces lampes d’albâtre.
Dansons !
..............
Oh ! puisque la jeunesse est une ombre qui passe,
Le jour qu’elle apparaît, dans un étroit espace,
Jouissons, traversons le chemin en dansant.
..............
Dansons, dansons pendant que nos pieds ont des ailes, etc.


Nous estimons assez le talent vigoureux de Mme Anaïs Ségalas pour ne pas craindre de lui soumettre quelques respectueux conseils. Peut-être se complaît-elle trop au jeu des antithèses exagérées, des métaphores plus prétentieuses que justes. Son désir de mettre en relief une idée bizarre la pousse parfois hors des limites du goût sévère. Ainsi nous n’aimons guère que, pour caractériser le pouvoir du créateur, elle appelle Dieu :

Le grand sculpteur en chair humaine.

Nous n’aimons pas mieux, dans l’Assassin, cette autre image aussi malheureusement empruntée de la statuaire :

J’ai mis là mon poignard comme en un bloc de pierre
Un sculpteur mettrait un ciseau.

C’est un assassin bien bel esprit qui fait une pareille comparaison à propos d’un meurtre qu’il a commis.

Mme Anaïs Ségalas abuse de la liberté de forme que l’école moderne a restituée au poète. Souvent elle déplace la césure avec peu d’avantage pour le nombre et l’harmonie, ou bien ses vers ne sont coupés nulle part, ils n’ont pas de jointures ; ils sont tout d’une pièce. Que n’imite-t-elle mieux l’habileté rhythmique de M. Victor Hugo, qu’elle semble en tant de points s’être proposé comme modèle.


Un avant-propos de Mme la marquise de R***, mis en tête des Rêves d’une jeune Fille, de Mlle Élise Moreau, nous apprend que ces poésies