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REVUE LITTÉRAIRE.

Mme Anaïs Ségalas se sépare complètement de la très large catégorie des femmes poètes qui n’ont touché de la lyre que les cordes gracieuses et mélancoliques. Elle a voulu probablement montrer que les chants énergiques n’étaient point interdits à son sexe. Elle ne recule devant aucun sujet grave et terrible. Ce sont même ceux qu’elle aborde de préférence, et elle les traite sous une forme qui n’en adoucit guère l’âpreté.

Il serait, du reste, difficile de préciser le caractère général des poésies de Mme Anaïs Ségalas. Rien de moins homogène. Tour à tour descriptives, religieuses, politiques, philosophiques, philanthropiques, elles n’ont ni but fixe, ni parti pris.

La première partie du recueil comprend les poèmes développés. Ce n’est pas celle que nous préférons. Le Cavalier noir, le principal de ces poèmes, est un conte allégorique et métaphysique qui satisfait peu. Nous entrons de bonne foi, à la suite de ce cavalier, dans le pays des enchantemens et des fées ; nous sommes en pleine fantasmagorie, et tout d’un coup, quand nous arrivons au dénouement, il se trouve que le cavalier noir, qui a triomphé de tous les obstacles, n’est autre chose que la Volonté cachée sous une armure de fer. Ne voilà-t-il pas un apologue fantastique qui mène bien prétentieusement à une moralité bien vulgaire ?

La seconde portion du volume, intitulée Galerie, contient les morceaux que le poète considère apparemment comme des tableaux ou des portraits. C’est là surtout que Mme Anaïs Ségalas a chargé ses toiles de couleur.

Nous souhaiterions que l’auteur des Oiseaux de passage variât davantage le mode de ses définitions et de ses descriptions. C’est par une double série d’énumérations qu’il procède constamment.

Mme Anaïs Ségalas veut-elle, par exemple, définir l’homme heureux ; avant d’énumérer tous les élémens de félicité qui le constituent, il faut qu’elle affirme d’abord que l’homme heureux n’est ni le divin poète aux chants de séraphin, ni l’ambassadeur des princes, ni le tyran qui domine superbe, ni le conquérant hardi.

Nous ne saurions approuver, quant à nous, l’abus de ces ingénieuses négations. Peut-être offrent-elles une grande commodité pour le remplissage lyrique ; mais, en vérité, le domaine de la description n’aura plus de bornes, si on lui permet de dire non-seulement tout ce que sont les choses, mais encore tout ce qu’elles ne sont pas.

Mme Anaïs Ségalas est douée d’un courage viril qui ne s’effraie pas des plus hideux spectacles. Vous la voyez dans le cimetière fouiller bravement les tombes. Elle regarde sans pâlir et décrit sans broncher les longs squelettes creux, immobiles, tout raides, les os disjoints, l’orbite béant ; les crânes aux larges trous, les membres dont la chair tombe et se dé-