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oublier, à vous étourdir, et vous ne vous refusez pas toute espèce de distractions ! que dis-je ? vous êtes homme d’honneur et de courage, vous avez de la délicatesse, de la dignité, de la noblesse dans les sentimens, vous avez du cœur et du génie, vous avez vingt vertus, et vous n’en avez pas vingt-deux !

Mais laissons à Burns lui-même le soin de se justifier en se faisant connaître. On a eu quelquefois à regretter que des poètes se soient abaissés jusqu’à la vile prose pour nous parler d’eux ; mais c’était dans des préfaces, et en la présence imposante du public. Il ne s’agit ici que d’une confidence ingénue faite à l’amitié, d’une lettre qui, n’étant pas destinée à voir le jour, est écrite avec cet inimitable abandon qu’exclut toute préoccupation de publicité.

— « Quand on voit le style naturel, dit Pascal, on est tout étonné et ravi, car on s’attendait à voir un auteur, et on trouve un homme. »

« Monsieur, écrivait-il, en 1787, au docteur Moore, l’auteur de Zelucco, d’Édouard, etc., depuis plusieurs mois j’ai couru le pays ; mais maintenant me voici retenu par une maladie de langueur qui, je suppose, a son siége dans l’estomac. Pour me distraire, il m’a pris la fantaisie de vous écrire ma propre histoire. Mon nom a fait quelque peu de bruit dans le pays ; vous avez bien voulu vous intéresser à moi avec chaleur, et je pense qu’un récit sincère pourra vous amuser dans vos momens de désœuvrement ; car je vous assure, monsieur, que comme Salomon à qui je crois ressembler quelquefois, à la sagesse près, mais c’est une bagatelle ; — comme lui, dis-je, j’ai tourné mes yeux pour contempler la démence et la folie, et comme lui j’ai trop souvent fraternisé avec elles…

« Je n’ai pas le moindre droit au titre de gentilhomme. L’hiver dernier, à Édimbourg, j’ai parcouru le livre de la noblesse et j’y ai trouvé à peu près tous les noms du royaume, excepté le mien ; mon sang ancien, mais obscur, s’est traîné jusqu’à moi de faquin en faquin depuis le déluge, et gueules, pourpre et argent m’ont complètement désavoué.

« Mon père était du nord de l’Écosse. Il était fils d’un fermier qui louait les terres des nobles keiths de Marischal, et il eut l’honneur de partager leur sort. Je me sers ici du mot honneur sans l’appliquer à ses principes politiques. Loyal et déloyal sont pour moi