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tout ce qu’il avait pu faire contre Félix Peretti et contre Félix cardinal Montalto, jamais il ne lui pardonnerait ce qu’à l’avenir il pourrait faire contre le pape Sixte ; qu’en conséquence il l’engageait à aller sur-le-champ expulser de sa maison et de ses états tous les bandits (exilés) et les malfaiteurs auxquels, jusqu’au présent moment, il avait donné asile.

Sixte-Quint avait une efficacité singulière, de quelque ton qu’il voulut se servir en parlant ; mais quand il était irrité et menaçant, on eût dit que ses yeux lançaient la foudre. Ce qu’il y a de certain, c’est que le prince Paul Orsini, accoutumé de tout temps à être craint des papes, fut porté à penser si sérieusement à ses affaires par cette façon de parler du pape, telle qu’il n’avait rien entendu de semblable pendant l’espace de treize ans, qu’à peine sorti du palais de sa sainteté, il courut chez le cardinal de Médicis lui raconter ce qui venait de se passer. Puis il résolut, par le conseil du cardinal, de congédier sans le moindre délai tous ces hommes repris de justice auxquels il donnait asile dans son palais et dans ses états, et il songea au plus vite à trouver quelque prétexte honnête pour sortir immédiatement des pays soumis au pouvoir de ce pontife si résolu.

Il faut savoir que le prince Paul Orsini était devenu d’une grosseur extraordinaire ; ses jambes étaient plus grosses que le corps d’un homme ordinaire, et une de ces jambes énormes était affligée du mal nommé la lupa (la louve), ainsi appelé parce qu’il faut le nourrir avec une grande abondance de viande fraîche qu’on applique sur la partie affectée ; autrement l’humeur violente, ne trouvant pas de chair morte à dévorer, se jetterait sur les chairs vivantes qui l’entourent.

Le prince prit prétexte de ce mal pour aller aux célèbres bains d’Abano, près de Padoue, pays dépendant de la république de Venise ; il partit avec sa nouvelle épouse vers le milieu de juin. Abano était un port très sûr pour lui, car, depuis un grand nombre d’années, la maison Orsini était liée à la république de Venise par des services réciproques.

Arrivé en ce pays de sûreté, le prince ne pensa qu’à jouir des agrémens de plusieurs séjours, et, dans ce dessein, il loua trois magnifiques palais : l’un à Venise, le palais Dandolo, dans la rue de la Zecca ; le second à Padoue, et ce fut le palais Foscarini, sur