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Bracciano, auquel le bruit public attribuait la mort de Félix Peretti. Le vulgaire pensait que le cardinal Montalto ne pourrait se trouver si rapproché du prince, et lui parler en tête-à-tête, sans laisser paraître quelque indice de ses sentimens.

Au moment où le prince vint chez le cardinal, la foule était énorme dans la rue, et auprès de la porte ; un grand nombre de courtisans remplissait toutes les pièces de la maison, tant était grande la curiosité d’observer le visage des deux interlocuteurs. Mais, chez l’un pas plus que chez l’autre, personne ne put observer rien d’extraordinaire. Le cardinal Montalto se conforma à tout ce que prescrivaient les convenances de la cour ; il donna à son visage une teinte d’hilarité fort remarquable, et sa façon d’adresser la parole au prince fut remplie d’affabilité.

Un instant après, en remontant en carrosse, le prince Paul, se trouvant seul avec ses courtisans intimes, ne put s’empêcher de dire en riant : In fatto è vero che costui è un gran frate ! (Il est parbleu bien vrai, cet homme est un fier moine !), comme s’il eût voulu confirmer la vérité du mot échappé au pape, quelques jours auparavant.

Les sages ont pensé que la conduite tenue en cette circonstance par le cardinal Montalto lui aplanit le chemin du trône, car beaucoup de gens prirent de lui cette opinion que, soit par nature ou par vertu, il ne savait pas ou ne voulait pas nuire à qui que ce fût, encore qu’il eût grand sujet d’être irrité.

Félix Peretti n’avait laissé rien d’écrit relativement à sa femme ; elle dut en conséquence retourner dans la maison de ses parens. Le cardinal Montalto lui fit remettre, avant son départ, les habits, les joyaux, et généralement tous les dons qu’elle avait reçus pendant qu’elle était la femme de son neveu.

Le troisième jour après la mort de Félix Peretti, Vittoria, accompagnée de sa mère, alla s’établir dans le palais du prince Orsini. Quelques-uns dirent que ces femmes furent portées à cette démarche par le soin de leur sûreté personnelle, la corte paraissant les menacer comme accusées de consentement à l’homicide commis, ou du moins d’en avoir eu connaissance avant l’exécution[1] ; d’autres pensèrent (et ce qui arriva plus tard sembla

  1. La corte n’osait pas pénétrer dans le palais d’un prince.