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moler à l’intérêt du petit nombre les intérêts généraux du pays. Mais il n’appartient qu’à un gouvernement qui s’isole lui-même au sein de la nation d’isoler la nation au milieu des peuples en mouvement.

La politique d’égoïsme ne convient ni aux faibles ni aux forts ; c’est l’impossible érigé en maxime de gouvernement. Les nations, comme les individus, ne peuvent quelque chose que par l’association ; c’est leur état normal et leur tendance naturelle, tendance dont elles ne s’écartent jamais sans que l’évènement ne se charge de les punir. La révolution française, cette grande coalition des états du midi contre l’influence du nord, ne fut vaincue, après vingt-cinq années de triomphes et de conquêtes, que du moment où le chef de l’association se crut assez puissant pour faire la guerre à ses alliés du midi. Plus tard, la faiblesse de la France, sous la restauration, ne vint pas tant de ce qu’on l’avait épuisée d’hommes et d’argent ; car, au bout de quelques années de paix, elle avait comblé les vides du trésor, et pouvait mettre en ligne de belles armées. Mais les puissances de l’Europe étaient unies contre la France, et la France était seule. Le peuple le plus mêlé aux affaires du continent n’avait pas d’alliés ; et il ne pesait dans la balance de l’Europe que par le souvenir redoutable à la fois et glorieux de son passé. Pour lui, le drapeau blanc avait été un linceul.

Qui dit alliance dit sacrifice ; mais un sacrifice qui entraîne une solidarité d’intérêts est la semence de l’avenir, c’est l’inspiration de l’intérêt bien entendu. Nous ne pensons pas qu’un peuple doive se dévouer en toutes circonstances ou pour tout le monde ; et nous ne dirons pas, en abusant, par un rapprochement ingénieux, des analogies historiques, que la France est le Christ des nations. Mais ce qui nous paraît vrai, c’est que le rôle d’initiative que la France représente dans l’histoire, elle est appelée plus que jamais à le remplir ; c’est que la solidarité se resserre chaque jour davantage entre les races ; c’est que nous ne pouvons plus marcher seuls dans aucune occasion ; c’est que la France, après avoir été une grande et brillante individualité nationale, est appelée à prendre aujourd’hui la tête d’une famille de nations. Nous avons versé notre sang un peu au hasard, et à la manière des torrens, du pôle à l’équateur, semant ce germe précieux tantôt en Égypte, tantôt en Allemagne et tantôt en Russie ; l’Europe, à son tour, est