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REVUE. — CHRONIQUE.

le monde. Pourquoi est-il isolé ? pourquoi, comme Arthur, n’a-t-il pas des amis qui le protègent ? parce qu’il est pauvre, et que, dans le monde, le vice, le crime peut-être, est moins méprisé que la pauvreté.

Après le développement de ces deux positions si différentes arrive le troisième acte, qui est vraiment beau. Ce n’est plus seulement la misère qu’Antoine doit combattre ; ce n’est plus seulement contre la faim qu’il doit lutter, c’est contre sa propre mère, qui, aigrie par les mauvais succès de ce fils en qui elle avait placé tant d’espérances, le rudoie, le maltraite, le maudit. Et comme si ce n’était pas assez de tant de souffrances pour briser le cœur du pauvre Antoine, l’amour se déclare encore contre lui.

Il aime ; mais il oublie qu’il ne peut rien offrir à celle qu’il aime que le partage d’un martyre silencieux. C’est alors que le riche Arthur se rencontre encore sur sa route pour l’écraser. Louise, la jeune fille pour qui soupire Antoine, devient la maîtresse d’Arthur. Antoine tue Arthur.

Il n’y a pas une grande invention en apparence dans ce sujet, et pourtant M. Émile Souvestre en a tiré si grand parti, que l’intérêt ne languit pas un seul instant pendant les cinq actes dont se compose cette pièce. Le caractère de la mère d’Antoine est tracé de main de maître. Le troisième et le cinquième actes sont pleins de larmes et d’émotions.

Avoir réussi à marier une idée philosophique à une intrigue amoureuse avec assez de bonheur pour que l’enseignement ne soit pas monotone, c’est assurément la preuve d’une extrême habilité et le présage d’un grand talent dramatique. Bocage a pour sa part, vaillamment contribué au succès de M. Émile Souvestre. Le rôle d’Antoine est sans contredit la plus belle, la plus intelligente de ses créations, sans en excepter Antony.


— Les trois premières séances de musique instrumentale données dans les salons de M. Érard, par MM. Liszt, Urhan et Batta, ont obtenu un succès bien légitime. Le choix des morceaux et la pureté de l’exécution ne pouvaient manquer d’exciter dans l’auditoire une admiration générale, et c’est ce qui est arrivé. Les trios et les sonates de Beethoven sont des œuvres du premier ordre, et qui soutiennent dignement la comparaison avec les symphonies de ce maître illustre. M. Liszt, en exécutant la partie de piano de ces créations exquises, a su concilier le goût et l’ardeur. M. Batta a tiré du violoncelle des accens pleins de grace et d’émotion. M. Adolphe Nourrit a été excellent dans plusieurs mélodies de Schubert. De pareils concerts sont de véritables services rendus à la musique sérieuse. Aussi la foule se presse-t-elle dans les salons de M. Érard, foule attentive, éclairée, qui ne bat des mains qu’après s’être