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dance de Constantinople et de la liberté de la navigation dans la mer Noire peut se décider sur cette côte de Circassie et sur le versant occidental du Caucase, où se trouvent Soudjak-Kale, Mamaï, Soukum-Kale, et deux ou trois autres points qui deviendraient, au choix de l’Angleterre, si elle est forte assez et résolue, l’Ancône de l’Orient. Mais si l’Angleterre n’a d’autre dessein que d’échanger des notes, et de discuter une question plutôt commerciale et consulaire que politique et diplomatique, alors il faut qu’elle sache que le gouvernement russe a non-seulement le droit de frapper de blocus la côte Tcherkesse, comme le reconnaît le Journal des Débats, mais qu’il peut encore être fondé, s’il lui plaît, à saisir, pour violation de lois de douanes et de santé, les navires qui aborderaient cette côte. Il est en effet de notoriété, et je m’étonne que nos publicistes l’ignorent, que les tribus Tcherkesses, après s’être soumises volontairement à l’autorité des khans de Krimée, que possède aujourd’hui la Russie, ont reconnu plus tard, pour échapper à la Russie, il est vrai, et s’assurer la protection de la Porte, leur dépendance des sultans de Constantinople. Or l’article 4 du traité d’Andrinople, auquel il fallait s’opposer avant tout, cède la Circassie, et pouvait la céder, au gouvernement russe, s’il est possible d’admettre le principe de la cession des peuples ; et la Russie s’occupe à cette heure de se mettre en possession de ce pays par tous les moyens dont elle dispose, avec d’autant plus de résolution et de persévérance qu’elle ne pourra se servir de la mer Caspienne et de l’Euxin pour transporter ses troupes au-delà du Caucase, tant que ces trente lieues de côtes lui manqueront. Jugez si la question est importante pour la Russie ! Vous voyez que je vais encore plus loin que le Journal des Débats, qui n’accorde à la Russie que le droit de blocus. Je n’ajoute pas qu’en droit cette cession peut toujours être contestée, comme toutes les immorales ventes de peuples, que se font les grandes puissances ; la politique a beau violer ce principe, elle ne parviendra pas à l’effacer.

C’est là, croyez-le bien, la vérité tout entière, mais j’avoue que je ne me serais pas hâté de la dire, et d’anticiper sur la décision des avocats de la couronne d’Angleterre et de lord Palmerston, si j’avais l’honneur d’être l’organe presque officiel d’un cabinet allié du gouvernement britannique, lequel pourrait prendre avec raison, en très mauvaise part, cet empressement à le condamner.