Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/501

Cette page a été validée par deux contributeurs.
497
LETTRES POLITIQUES.

cuper de tous les détails de l’expédition ; on a plié devant son humeur ; on s’est effacé ; on lui a laissé l’espoir de conserver le commandement, tant on le redoute dans la chambre et partout où on lui suppose quelque influence, si bien que le commandant en chef, mandé pour rendre compte de sa conduite, semblait traduire le ministère à sa barre ! Quand le maréchal Clausel sommait M. Molé et M. Guizot de lui promettre formellement la direction de la campagne qui se prépare, on ne savait par quel faux-fuyant lui échapper ; puis, après qu’on eut bien dressé les embûches, M. Guizot fit venir le maréchal au conseil, et il le pria d’expliquer ses plans, de développer ses idées militaires, afin que ses collègues et lui pussent s’éclairer. Le maréchal parla longuement, bien, je ne sais ; il fit valoir la nécessité de donner une grande autorité au général en chef, et prit confiance en se voyant écouté avec faveur, sollicité même, comme dans la comédie de Molière, à demander largement ce qui lui serait indispensable pour la campagne qu’il allait faire. Poussé comme Scapin par Argante à ne pas se faire faute d’un petit mulet, le maréchal entra dans tous les détails de l’administration militaire, exposa sans réserve ses besoins et ses plans à ses amis du conseil, qui lui prêtaient l’oreille si bénévolement, et se retira très satisfait. Le lendemain M. Molé manda le maréchal Clausel et lui demanda s’il persistait dans ses idées. À quoi le maréchal, ne se doutant de rien, répondit qu’il se trouvait très heureux de les avoir fait adopter par le conseil. — « En ce cas, répliqua le ministre, nous vous rendons votre liberté. » Le général Danremont fut aussitôt nommé pour succéder au maréchal Clausel. C’est là de la véritable diplomatie, et sans doute, M. Molé ne manquera pas d’appliquer cette habileté aux affaires extérieures. Les préparatifs de l’expédition vont leur train cependant, mais comme il faudra venir demander onze millions à la chambre, on redoute de trop exiger d’elle à la fois, et on a résolu de lui laisser voter d’abord les lois dont elle s’occupe en ce moment. En attendant, et comme l’époque favorable pour l’expédition approche rapidement (le chef devrait se trouver déjà sur le sol de l’Afrique), on se sert, faute de crédits, pour acheter des mulets, du fonds de remonte de la cavalerie, voté au budget du ministère de la guerre. Qui dit chevaux, dit mulets sans doute. D’ailleurs la parenté est proche, et la chambre n’y regardera pas de si près.