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dont j’ignore le nom, en donne des raisons excellentes[1]. J’ai trouvé également à la Bibliothèque royale un arrêt du conseil, contresigné Phelipeaux, rendu vraisemblablement sur les suggestions de quelque père Letellier, lequel arrêt interdit l’enseignement de la philosophie cartésienne dans tous les colléges de l’Oratoire ; et c’est précisément d’un collége de l’Oratoire qu’est sorti cet autre disciple de Descartes, le Spinosa chrétien, le Platon de la philosophie moderne, le divin Mallebranche ! Ô vanité des persécutions en philosophie ! Le génie sans doute a ses erreurs, ses excès, ses périls ; mais il n’y a qu’un seul remède à tout cela ; ce remède est l’intervention d’un autre génie qui corrige son devancier, à condition d’être un jour corrigé lui-même par celui qui le suivra. Toutes les tracasseries n’empêchèrent point Descartes de faire son œuvre, car cette œuvre était nécessaire et bonne. Malgré les Voet et les Letellier, il produisit Spinosa et Mallebranche, qui, en tirant des principes de leur maître des conséquences nouvelles, prolongèrent et agrandirent son influence, en dépit de tous les obstacles, même dans ce qu’elle avait de vicieux, jusqu’à ce que parût le grand Leibnitz, qui, sans intrigue de cour et sans ordre de cabinet, quoiqu’il fût le conseiller de deux ou trois monarques, arrêta le mouvement cartésien, et brisa le règne exclusif de Descartes avec les armes mêmes de Descartes, c’est-à-dire le raisonnement, la démonstration. Un argument, un argument, voilà qui vaut mieux que mille arrêts ; mais l’argument de Leibnitz contre Descartes n’était pas à l’usage du jésuite Letellier et du calviniste Voet.

Voet et Descartes me ramènent à Utrecht. J’y ai trouvé surabondamment les traces du premier ; mais celles du dernier sont effacées. On ne sait pas bien où il logeait à Utrecht : on conjecture qu’il demeura quelque temps dans une petite maison située sur la promenade appelée aujourd’hui le Mail (Mali-bahn), La bibliothèque ne contient pas une seule lettre de lui ; mais j’espère être plus heureux à Leyde, et trouver dans les papiers d’Huyghens quelque chose qui se rapporte à notre illustre compatriote.

Je ne veux pas poser la plume avant d’avoir fait un peu connaître au lecteur mon savant et aimable guide à l’école latine et à l’université d’Utrecht, M. Van Heusde. Quand j’entrai en Hollande,

  1. Fond Saint-Germain, No 399.