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sairement l’excellence dans un genre différent, cependant il faudra toujours au poète élégiaque des épreuves multipliées pour atteindre à l’animation dramatique. Or, M. de Vigny n’a encore soumis qu’à deux épreuves assez éloignées l’une de l’autre ses habitudes poétiques. Dans la Maréchale d’Ancre, il semblait tenter décidément la composition dramatique ; dans Chatterton, il est revenu à l’élégie, et c’est de l’élégie seule qu’il a voulu tirer tous les élémens qu’il se proposait de mettre en œuvre. Nous n’avons pas à examiner ici la valeur sociale de cette œuvre ; et si nous entamions cet examen, nous serions plus indulgens que les déclamateurs qui accusent M. de Vigny de saper toutes les lois morales ; nous nous renfermons dans la discussion purement littéraire. Mais il est évident pour tous les juges que Chatterton est une élégie sous forme de plaidoyer. Or, quelles sont les conséquences naturelles du génie élégiaque ? N’est-ce pas la contemplation assidue de la conscience et le dédain constant de tous les mouvemens extérieurs ? N’est-ce pas l’ivresse de la douleur et le mépris de la vie réelle ? Il nous semble que ces conséquences se présentent d’elles-mêmes, et qu’il ne faut pas une grande clairvoyance pour les apercevoir dans le drame de Chatterton. Le spiritualisme constant qui domine dans cet ouvrage a exercé sur le goût public une influence salutaire, et nous serions ingrats si nous ne reconnaissions pas que M. de Vigny a rendu un véritable service à la littérature dramatique. Le succès de Chatterton a opéré une réaction pressentie dès long-temps, mais que plusieurs esprits croyaient cependant impossible après les applaudissemens prodigués à MM. Dumas et Hugo. Une pièce en trois actes qui repose tout entière sur la solitude et la pauvreté d’un poète, écoutée avec une attention religieuse, a prouvé aux plus incrédules qu’il y avait place sur notre scène pour autre chose que l’entraînement des sens ou la pompe du spectacle. Cependant il ne faut pas s’abuser sur la valeur dramatique de Chatterton ; c’est une élégie harmonieuse, pleine de sentimens admirablement exprimés ; mais de pareilles tentatives, quoique utiles à la réforme du goût public, ne pourraient se multiplier sans amener bientôt l’indifférence. C’est qu’en effet le spiritualisme, pour animer le drame, a besoin de se produire sous une autre forme que l’élégie ; c’est que la plainte, quelle que soit la sérénité des régions où elle monte, ne peut