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DU THÉÂTRE EN FRANCE.

passion et oublient d’être passionnés. Cependant l’élément lyrique ne régit pas avec une égale puissance les trois pièces que j’ai nommées. Dans Marion de l’Orme, l’ode est moins impérieuse et moins envahissante que dans Hernani ; et dans Triboulet elle commence à plier devant un élément nouveau que M. Hugo n’avait pas annoncé en écrivant sa poétique. Cet élément, que la préface de Cromwell avait négligé de signaler, s’appelle : antithèse. Quoiqu’il fût possible d’entrevoir dans Hernani et Marion la perpétuelle opposition de la liqueur et du vase, du diamant et de la gangue, de l’âme et du corps, cependant cette opposition ne se manifestait pas encore aussi hardiment que dans Triboulet. La pudeur renaissante de la courtisane, l’héroïsme et la noblesse du bandit ne relevaient pas de l’antithèse aussi directement que la grande ame enfouie sous les grelots d’un fou. La destinée malheureuse de ce drame n’a pas fléchi la volonté nouvelle de M. Hugo. Habitué dès long-temps à ne consulter que lui-même, le poète a marché sans se troubler dans la voie qu’il venait d’ouvrir. Il s’est dévoué à l’antithèse comme il s’était dévoué à l’ode. Après avoir caché l’ame de Socrate dans le corps d’un valet, il a jeté l’amour maternel dans le cœur d’une femme adultère et incestueuse, qui partage son lit entre son père et ses frères. Plus tard, il a placé le billot et la hache dans l’alcove d’une reine, et, enfin, il a mis face à face le devoir et la passion, ou plutôt, car il faut nommer les choses par leur vrai nom, la fidélité conjugale et le partage singulier du corps avili et de l’ame immaculée, l’épouse chaste et résignée, et la courtisane vendue à l’homme qu’elle hait et qui la possède, et amoureuse de l’homme qui la désire, à qui elle refuse de se livrer, et il s’est applaudi de cette puérile antithèse, comme s’il eût inventé deux caractères vraiment nouveaux et dramatiques. Il y a certainement un intervalle immense entre les trois premiers et les trois derniers drames de M. Hugo, non-seulement parce que l’antithèse, prise en elle-même, est fort au-dessous de l’élément lyrique, mais encore parce que l’antithèse, une fois acceptée par M. Hugo comme loi souveraine du théâtre, devait le conduire et l’a conduit en effet à se proposer la splendeur du spectacle comme la plus haute expression du génie dramatique. Une fois résolu à chercher dans l’antithèse la source de toutes les émotions, sans se demander si l’antithèse a jamais ému personne, il était naturel