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les mains des hommes éminens qu’une interprétation, et jamais une copie littérale du modèle. Prenez la peinture et la statuaire aux plus splendides époques de leur histoire, et jamais vous ne les trouverez séparées de l’interprétation, c’est-à-dire de l’idéal. Or, ce qui est vrai pour les arts du dessin n’est pas moins vrai pour la poésie. Si la forme et la couleur, en traduisant le modèle humain, sont obligées, non pas de le reproduire, mais de l’expliquer en l’agrandissant, de le rendre intelligible tantôt en exagérant, tantôt en effaçant certaines parties, la parole, en se proposant une tâche analogue, ne peut se soustraire aux conditions que nous venons d’énoncer. Si le marbre et la toile ne sont pas dispensées d’inventer en imitant le modèle, la parole n’a pas le privilége d’atteindre à la poésie par l’imitation littérale. Je sais bien que la majorité, c’est-à-dire la foule qui n’a jamais posé ni discuté de pareilles questions, persiste à voir dans la reproduction servile de la nature le dernier mot de l’art humain. Mais en face d’une erreur grossière, d’une ignorance obstinée, il ne faut pas craindre d’attaquer l’opinion de la majorité. Si la nature est le dernier mot de l’art humain, Phidias et Raphaël sont bien au-dessous des figures de Curtius. Si le génie de l’artiste est directement proportionnel à l’illusion, la cire colorée, vêtue de serge, est bien supérieure aux métopes du Parthénon et aux loges du Vatican. Pour professer de bonne foi que la nature, copiée servilement, est la plus haute expression de l’art dans la peinture, la statuaire et la poésie, il faut n’avoir jamais entrevu, jamais étudié les lois de l’imagination, soit dans le domaine de la conscience, soit dans le domaine des œuvres proclamées belles par le consentement unanime des esprits incultes et des esprits cultivés. Soutenir délibérément la doctrine du réalisme dans l’art, c’est méconnaître d’emblée la cause même de l’admiration conquise par les belles œuvres, c’est demeurer aveugle à la beauté, c’est affirmer son incompétence dans toutes les questions esthétiques.

Mais lors même que la nature serait le but suprême de l’art humain, lors même que l’interprétation serait rayée de la liste des devoirs poétiques, M. Dumas serait encore bien loin de compte ; car il n’a reproduit dans ses œuvres que la partie la plus grossière de la nature. Il s’est proposé de copier l’homme tel qu’il est, et il n’a copié de l’homme que l’élément physiologique. Il a voulu peindre la passion ramenée à ses lois primitives ; et à parler franchement,