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DU THÉÂTRE EN FRANCE.

paraît comprendre l’importance, mais qu’il analyse et qu’il définit avec une déplorable confusion, je m’assure qu’il n’eût pas fait fausse route, ou que du moins, en se trompant, il fût demeuré dans les limites du champ littéraire. Mais M. Dumas n’est pas habitué à décomposer ses pensées ; chez lui, l’action succède au désir avec une rapidité enfantine : aussi s’est-il hâté de combattre la tradition sans avoir mesuré la valeur du monument qu’il voulait ruiner. Si, avant de se résoudre à la volonté il se fût demandé sérieusement ce que signifie la tradition, ce qu’elle représente, ce qu’elle exprime, il aurait compris que les plus hardis génies, quel que soit l’ordre d’idées auquel ils s’adressent, peuvent bien modifier la tradition, c’est-à-dire la continuer au nom d’un principe nouveau, mais jamais l’abolir et l’effacer. Tout en reconnaissant dans la tragédie française du xviie siècle plusieurs élémens périssables qui s’expliquent par le milieu où ils se sont produits, il n’aurait pas nié les élémens immortels de cette même tragédie, qui ne relèvent ni des évènemens ni des lieux, qui n’appartiennent ni à la Grèce ni à la France, mais bien à l’humanité entière. M. Dumas, qui, aujourd’hui, annonce la régénération de la tragédie, mais qui comprend cette régénération d’une façon toute personnelle, et, selon nous, très étroite, a commencé à écrire pour le théâtre avec des intentions toutes différentes. Préoccupé de Shakspeare et de Schiller dont il n’apercevait que les qualités extérieures, et plus vivement encore des drames écrits en France pour la seule lecture, il a entrepris la guerre contre l’idéal, c’est-à-dire contre la poésie elle-même. Il a confondu dans une commune haine les parties convenues et les parties vraiment belles de la tragédie française. Il a formé le dessein d’élever un théâtre nouveau, et il n’a pas songé à déterminer quelles sont les conditions de la poésie prise en soi, et en particulier de la poésie appliquée au théâtre. M. Dumas a cru et paraît croire encore que le but suprême de la poésie dramatique n’est autre que l’imitation ou plutôt la reproduction de la nature, et tout ce qu’il a écrit pour le théâtre est conçu d’après cette théorie. M. Dumas a contre lui tous les artistes sérieux. La musique et l’architecture sont évidemment hors de cause. Mais la peinture et la statuaire, qui, par les moyens dont elles disposent, semblent au premier coup d’œil astreintes plus rigoureusement que la poésie à l’imitation de la nature, n’ont jamais été entre