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DU THÉÂTRE EN FRANCE.

ton, et comme s’il était impossible d’écrire sur une pièce de théâtre quelque chose de sincère et d’élevé, il se contente du procès-verbal, et se défie volontiers des hommes qui se proposent une tâche plus difficile. Quand un écrivain met sa parole au service de la réflexion et poursuit, dans l’analyse d’une œuvre dramatique, le respect ou la méconnaissance des vrais principes de la poésie, quand il essaie d’éprouver ce qu’il a entendu par l’histoire ou par la philosophie, quand il discute séparément la vérité locale et passagère, la vérité humaine contemporaine de tous les siècles, et possible en tout lieu, quand il étudie un à un tous les personnages de la pièce, quand il soumet au contrôle de la raison les caractères qui se combattent, il n’obtient guère pour récompense que l’accusation d’envie ou de morosité. Chacun des argumens qu’il a développés fournit aux amis de l’auteur le sujet d’une raillerie ; quelquefois même l’orgueil poétique, ingénieux dans sa colère, voit dans la franchise un acte d’improbité. Le critique, pour dire toute sa pensée, a besoin de se résigner à la haine des hommes qu’il a jugés. Cependant il serait temps que le feuilleton dramatique devînt plus sévère et plus sérieux ; car le théâtre, malgré son apparente fécondité, est réellement, à l’heure où nous écrivons, la plus indigente de toutes les formes poétiques. Pour le prouver, nous n’avons qu’à choisir.

Commençons par le plus populaire et le moins lettré de tous les écrivains dramatiques, je veux dire par M. Scribe. Il est aujourd’hui bien démontré par le Mariage d’argent, par Bertrand et Raton, par l’Ambitieux, et tout récemment par la Camaraderie, que M. Scribe est incapable de produire un grand ouvrage. Dans les quatre comédies que nous venons de nommer, et que l’auteur a composées sans le secours de ses innombrables collaborateurs, il n’y a pas trace d’invention, et pourtant le second et le quatrième de ces ouvrages ont obtenu les applaudissemens de la foule. C’est là un fait que nous ne pouvons contester. Nous ne sommes pas de ceux qui méprisent les faits, mais nous tenons beaucoup à ne pas les admettre sans les expliquer. Or, le succès obtenu par M. Scribe au boulevard Bonne-Nouvelle et rue de Richelieu s’explique facilement, et n’a rien de glorieux, soit pour l’auteur, soit pour le public. M. Scribe a vu de bonne heure que la société se partage entre les enthousiastes et les hommes positifs, entre les passions et