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ILLUSTRATIONS SCIENTIFIQUES.

qu’il parcourait en tous sens alors avec ravissement, comme un jardin de sa jeunesse, il ne la voyait pourtant et ne l’admirait que sous un voile qui fut levé seulement plus tard. Il était myope, et il vint jusqu’à un certain âge sans porter de lunettes ni se douter de la différence. C’est un jour, dans l’île Barbe, que, M. Ballanche lui ayant mis des lunettes sans trop de dessein, un cri d’admiration lui échappa comme à une seconde vue tout d’un coup révélée : il contemplait pour la première fois la nature dans ses couleurs distinctes et ses horizons, comme il est donné à la prunelle humaine.

Cette époque de sentiment et de poésie fut complète pour le jeune Ampère. Nous en avons sous les yeux des preuves sans nombre, dans les papiers de tous genres, amassés devant nous et qui nous sont confiés, trésor d’un fils. Il écrivit beaucoup de vers français et ébaucha une multitude de poèmes, tragédies, comédies, sans compter les chansons, madrigaux, charades, etc. Je trouve des scènes écrites d’une tragédie d’Agis, des fragmens, des projets d’une tragédie de Conradin, d’une Iphigénie en Tauride…, d’une autre pièce où paraissaient Carbon et Sylla, d’une autre où figuraient Vespasien et Titus ; un morceau d’un poème moral sur la vie ; des vers qui célèbrent l’Assemblée constituante ; une ébauche de poème sur les sciences naturelles ; un commencement assez long d’une grande épopée intitulée l’Américide, dont le héros était Christophe Colomb. Chacun de ces commencemens forme deux ou trois feuillets, d’ordinaire, de sa grosse écriture d’écolier, de cette écriture qui avait comme peur sans cesse de ne pas être assez lisible, et la tirade s’arrête brusquement, coupée le plus souvent par des x et y, par la formule générale pour former immédiatement toutes les puissances d’un polynome quelconque : je ne fais que copier. Vers ce temps, il construisait aussi une espèce de langue philosophique dans laquelle il fit des vers. Mais on a là-dessus trop peu de données pour en parler. Ce qu’il faut seulement conclure de cet amas de vers et de prose où manque, non pas la facilité, mais l’art, ce que prouve cette littérature poétique, blasonnée d’algèbre, c’est l’étonnante variété, exubérance et inquiétude en tous sens, de ce cerveau de vingt et un ans, dont la direction définitive n’était pas trouvée. Le soulèvement s’essayait sur tous les points et ne se faisait jour sur aucun. Mais un sentiment supérieur, le sentiment le plus