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REVUE. — CHRONIQUE.

vant, s’attendant l’une l’autre ? Le conseil de guerre jugera-t-il avant le jury pour lui montrer comment il faut frapper ? ou bien l’affaire sera-t-elle pendante en même temps devant les deux juridictions ? Alors il faudra que les témoins aillent de l’une à l’autre enceinte. Comment constater leurs divergences et leurs contradictions avec eux-mêmes ? Comment encore dans l’une et l’autre juridiction se passera-t-on de la présence et de la confrontation des co-accusés ? Et l’instruction, comment se fera-t-elle ? Qui jugera ces conflits d’autorité ? C’est s’engager dans un dédale d’impossibilités et de contresens. Déjà dans les bureaux ce malencontreux projet a subi les plus accablantes critiques de la part de toutes les nuances de l’opposition ; son adoption est fort douteuse, mais toujours il réunira contre lui une immense minorité, et la loi nouvelle n’arriverait dans nos codes que déconsidérée et annulée même avant toute application.

Les idées morales ne sont pas plus respectées par le ministère que les principes des juridictions. On déplace la justice ; on veut aussi déplacer la morale. En 1832, on proclamait qu’il était de la dignité et de la délicatesse du législateur de ne pas exiger la révélation des crimes, et qu’il devait s’en remettre sur ce point à la conscience individuelle. Aujourd’hui, on tient un autre langage, et la non-révélation redevient un crime qui sera puni de la réclusion. En vérité on a bonne grâce avec de pareilles variations à tonner contre le scepticisme qui dévore la société ! Quelle fixité peut-on demander dans les principes et les idées, quand on voit les gouvernemens disposer à leur gré du juste et de l’injuste ? Les hommes qui sont au pouvoir aujourd’hui s’écrient qu’ils ont les mains pleines de lois impuissantes, et ils s’évertuent à en fabriquer de plus impuissantes encore !

Il faut convenir que le cabinet du 6 septembre laisse bien loin derrière lui le ministère du 11 octobre, dont les lois se proposaient un but positif qu’elles atteignirent. Aussi, après la loi sur les associations et les lois de septembre, on disait dans le conseil qu’on avait poussé la législation aussi loin qu’elle pouvait aller, qu’on avait creusé jusqu’au tuf, et que désormais il n’y avait plus qu’à s’en remettre aux mœurs et à l’esprit public. M. de Broglie tenait ce langage aussi bien que M. Thiers ; M. Guizot en tombait d’accord avec M. Persil. Aujourd’hui on porte plus loin la borne qu’on croyait avoir posée pour toujours. Où s’arrêtera-t-on ? Jusqu’à quel point grossira-t-on le nombre des lois dites complémentaires de septembre ? N’oublions pas le projet qui demande qu’on construise une prison dans l’île Bourbon, et qui aggrave les maux de l’exil par ceux de la captivité. Il est vrai que celle des lois de septembre qui