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THÉÂTRE-FRANÇAIS.

des éligibles. Mais dans la réalité, leur bassesse et les grossières flatteries qu’ils échangent ne les conduiraient pas fort loin. J’en trouve la preuve dans la pièce même ; ils y sont continuellement bafoués, et ils échouent en tout ce qu’ils entreprennent ; de sorte que M. Scribe n’aurait pu mieux faire pour démontrer l’inutilité de la camaraderie.

Qu’on ne dise pas que l’exagération est une des lois de l’optique théâtrale. Sans doute, il faut grossir les traits, mais en des proportions mesurées par le bon sens et la vraisemblance. Charger les figures sans en dénaturer le type distinctif, les faire passer de la vérité vivante à la vérité absolue, idéale, c’est le grand secret de l’art comique. Il est loin de ma pensée de refuser à M. Scribe la possession de ce secret : son tort est de le négliger pour les procédés expéditifs, qui n’exigent ni la méditation solide, ni un labeur suivi, ni le courage de briser des ébauches.

En annonçant l’intention de flageller les intrigans, l’auteur de la Camaraderie s’assurait dans le parterre une bruyante clientelle. Il est ordinaire aux ambitions déçues, aux amours-propres froissés, aux impuissances de toute nature, d’attribuer leurs échecs à des manœuvres cachées et déloyales. La comédie nouvelle dramatise seulement le côté banal et ridiculement exagéré de ce reproche : elle indique à peine ce qu’il a de réel et de grave. Dans notre société, le jeu de l’instinct personnel tend constamment à grouper les intérêts : quelquefois l’alliance est utile et légitime : souvent elle dégénère en coterie. Je pense qu’en ce cas la courte-échelle de M. Scribe serait un pauvre moyen d’élévation. Si une pareille cabale s’organisait formellement, il suffirait, pour la ruiner, de la dénoncer au public. Il ne faut pas croire non plus aux miracles de cet être insaisissable qu’on appelle le journalisme : l’autorité qu’on attribue à la presse entière, ne réside réellement que dans un très petit nombre de journaux, et ceux-ci, comme tous les pouvoirs, ne se conservent qu’à condition de ne pas abuser. Leur arsenal n’est pas à la disposition du premier venu, et les qualités plus que jamais nécessaires pour fonder une publicité durable me semblent une sorte de garantie donnée à la société. Quels sont donc la livrée, le langage, les principes, les moyens d’action des coteries qui règnent aujourd’hui ? il est plus facile de poser la question que de la résoudre, et je n’ai pas la prétention d’être plus clairvoyant que l’auteur comique.

En reprenant dans son ancien répertoire les intentions heureuses qu’il y a si follement prodiguées, pour les élargir jusqu’aux proportions de la scène française, M. Scribe obéit à une honorable et légitime ambition ; la supériorité de son mécanisme dramatique lui permet, plus qu’à tout autre, d’animer par l’action la vérité morale qui est l’ame de la grande comédie.