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POÈTES ÉPIQUES.

même nom. Par le droit divin de la poésie, Charlemagne fut, préférablement à tout autre, élu roi de ce vague et incommensurable empire. L’importance personnelle et presque miraculeuse du fils de Pépin, les souvenirs de la féodalité naissante, par-dessus tout la lutte du mahométisme et du christianisme, dont on lui attribuait la plus grande part, ne laissaient pas un autre choix à faire aux imaginations populaires. Il ne s’agissait plus d’ailleurs, comme dans le système d’Arthus, de poursuivre un vague idéal. L’objet de la nouvelle épopée était, au contraire, très réel. C’était le foyer même de la civilisation occidentale qu’il fallait défendre contre l’Orient. Le même intérêt, qui, chez les anciens, s’était attaché à la guerre de Troie, devait s’attacher, pendant le moyen-âge, au souvenir des guerres contre les Sarrasins. L’Ilion des trouvères fut toujours la cité catholique.

Ce qui donne, après cela, le caractère épique à ces poèmes, c’est qu’ils sont un tableau complet du système féodal. Ni l’amour ni la religion n’y tiennent une grande place ; au contraire, l’intérêt politique y passe toujours avant l’intérêt romanesque. L’anarchie du moyen-âge est le fonds même du sujet. Chaque province de France est le centre d’une épopée, chaque duché a son héros ; Huon de Bordeaux, Gérard de Roussillon, Guillaume d’Orange, Renaud de Montauban, Aymeric de Narbonne, voilà les héros de la langue d’oc ; Aubry-le-Bourguignon, Garin de Lorraine, Richard de Normandie, Raoul de Cambray, Thierry des Ardennes, voilà les héros de la langue d’oil. Le grand fief de l’antiquité était aussi représenté par le personnage de l’imagination bysantine, Alexandre de Macédoine. Au sommet de cette féodalité idéale apparaît Charlemagne, à la barbe plus blanche que fleurs de lis ; il préside solennellement et fastueusement à l’héroïsme de ses barons. Oisif et impuissant, il perd la France au jeu d’échecs. Il offre une couronne contre un cheval. Maugis l’emporte tout endormi dans le château de ses chevaliers rebelles. Incessamment il pleure, il se lamente, presque autant que l’Attila des Niebelungen. En un mot, le grand empereur d’Eginhard, l’auteur des Capitulaires, n’est plus, dans cette épopée, que l’image du roi féodal, abusé, moqué, bravé par ses turbulens vassaux. D’ailleurs, les chartes et les diplômes ne marquent pas mieux les conditions des hommes que ne font ces poèmes. Les relations des seigneurs et des vassaux, des vassaux