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LETTRES POLITIQUES.

projet de loi exceptionnelle, pour suspendre indéfiniment la liberté individuelle, adopté par M. Molé, et par la plupart de ses collègues, s’est trouvé repoussé par M. Guizot, qui, s’étant consulté avec ses amis, apprit que la majorité ne l’accorderait que pour un an. La mesure ainsi réduite sembla trop faible à M. Guizot ; ce ne sont pas des armes si légères et si écourtées qu’il lui faut.

Il résulte de toutes ces choses que ce ministère ne sera pas aussi fatal qu’on le pense à la liberté, et par suite à la monarchie constitutionnelle, et que ses tiraillemens intérieurs l’empêcheront toujours de porter aux institutions les rudes coups que médite la doctrine. En un mot, M. Guizot n’y est pas le maître absolu, loin de là, il n’a pas même su prendre la place de M. Thiers qu’il convoitait dans ce cabinet créé tout exprès pour soustraire les chambres au joug de l’éloquence et des talens de tribune. Passez-moi, monsieur, une vieille et vulgaire comparaison, c’est encore ici l’histoire de Bertrand et Raton ; M. Guizot était venu couvrir M. Molé, le pair de France, le grand seigneur, de sa protection populaire et de son nom bourgeois, tant M. Guizot se faisait illusion sur sa situation politique ! Et voilà, au contraire que M. Molé s’est fait l’homme de la chambre, et qu’il dicte la loi dans le ministère au nom de sa force et de son influence, réelles ou non. En effet, quand une difficulté de conseil se présente, c’est M. Molé qui s’offre à l’aplanir et qui se rend au château, et quand se rencontre un embarras de tribune ou de bureau, c’est encore M. Molé qui court à la chambre, qui s’explique dans les couloirs ou qui prend la parole, à la grande mortification de M. Guizot. En un mot, c’est M. Molé qui s’est fait le ministre indispensable et non M. Guizot, c’est M. Molé qui met sa démission dans la balance, et menace de tout abîmer par sa retraite, comme faisait quelquefois M. Thiers du temps du 11 octobre, mais avec plus de motifs, et en se fondant sur un ascendant mieux reconnu dans les chambres et dans le conseil. Et ce qu’il y a de pire dans cette condition, c’est que M. Guizot avait déjà pris le rôle de M. Thiers dans les premiers jours du cabinet actuel, c’est que M. Guizot exerçait ce pouvoir avec plus de volonté et de caprice que n’avait jamais fait M. Thiers, et qu’il lui a fallu descendre de cette position pour subir à son