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RAYNOUARD.

rations les plus importantes de l’ordre politique. Nous ne chercherons pas à atténuer cette noble conviction. Peut-être serait-il bon cependant de conseiller à ceux qui partagent cette généreuse illusion, la comparaison de l’état actuel des villes en France, par rapport au pouvoir central, avec l’état des cités du moyen-âge envers la féodalité et la royauté. Cela fait, et l’analogie cherchée, sans qu’on ait pu la trouver, il faudrait persuader au législateur, s’il avait du temps à perdre, d’assister aux délibérations d’un conseil municipal de province et d’étudier quelque temps le caractère général du maire et des adjoints, qui ont remplacé les jurats dans l’antique échevinage. Nous doutons qu’après avoir vu ce qu’il y a d’étroit et d’arriéré dans les administrations locales, on en vienne à désirer le rétablissement de la commune du xiie siècle ou de la curie romaine. La France n’est plus dans les mêmes conditions, et si quelques-uns des anciens priviléges municipaux peuvent encore être utiles, la plupart, selon nous, appartiennent à une société qui a fait son temps. — M. Raynouard s’occupait, dans ces dernières années, d’un nouveau travail sur les troubadours, qui devait avoir six volumes, comme le premier. Un seul a été publié[1]. L’auteur, ayant d’abord comparé les formes grammaticales, voulait faire la même chose pour les lexiques. Le gouvernement avait souscrit pour deux cent cinquante exemplaires à la première collection, par l’entremise de M. de Blacas. Cette fois, M. Raynouard est mort avec la crainte que son beau monument ne reste inachevé. Cette pensée amère lui fut d’autant plus présente à sa dernière heure, que la fortune honorable due à ses infatigables travaux avait été absorbée presque en entier dans ces dernières années. On l’a dit sur sa tombe, le temps est venu de soulever le voile d’une générosité aussi modeste que rare. Quand il eut appris les pertes considérables de sa famille, M. Raynouard se regarda comme solidaire d’engagemens qui n’étaient pas les siens. Lui qui montrait tant d’économie dans la vie de tous les jours, il n’hésita pas un instant, et ce sacrifice ne parut point lui coûter. C’est ainsi que, plus jeune, avocat encore, il s’était chargé d’un procès à propos d’une prise maritime. Personne n’avait voulu défendre cette cause sans espérance, qui paraissait pourtant juste à M. Raynouard, auquel on avait offert une forte part dans le gain. Le procès réussit, et il s’agissait de 300,000 francs pour l’avocat,

  1. M. Just Paquet, son exécuteur testamentaire, connu par un Mémoire sur les institutions provinciales, couronné à l’Académie des Inscriptions ; M. Pellissier, qui a été honoré par M. Raynouard du nom de son collaborateur ; enfin, M. Léon Dessalles, employé distingué des Archives du royaume et ancien secrétaire de l’auteur des Templiers, se proposent de livrer au jour le reste de ce travail, dont la publication est attendue avec impatience par l’Europe savante.