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RAYNOUARD.

que dans la formation de la romane rustique, a été aussi l’objet de plusieurs critiques, et l’on a objecté que la plupart des rapprochemens, des analogies, des affinités qu’il trouvait entre les mots de la littérature provençale et ceux des langues de l’Europe latine, pouvaient très bien se rapporter non à une langue une et intermédiaire, mais à la source commune, le latin. Enfin (et cette objection ne nous semble pas la plus facile à réfuter) on a observé qu’il était difficile de concevoir une langue qui, seulement parlée et laissant au latin sa vieille prédominance littéraire, s’étendît presque à tout l’empire de Charlemagne, et cela au milieu d’une société non constituée encore et en proie aux invasions. Quoi qu’il en soit, nous renvoyons, pour ces objections, au livre publié récemment en Angleterre par M. Liwis, et mieux encore aux leçons de M. Villemain sur la littérature du moyen-âge, où elles sont exposées avec tout le tact et la lucidité désirables. M. Fauriel, si compétent en pareille matière, a aussi consacré plusieurs séances de son cours de la Faculté des Lettres à examiner le système de M. Raynouard. Nous regrettons que d’autres travaux l’aient empêché de publier le résultat de ses savantes recherches sur ce point.

Ces contradictions, sur lesquelles il nous paraît convenable de ne pas insister dans une étude écrite surtout professione pietatis, n’ôtent d’ailleurs nullement leur prix aux grands travaux de M. Raynouard, qui, après avoir essayé de montrer l’universalité collective de la langue romane rustique sur tous les points de l’Europe latine, la considère en particulier dans la littérature du midi, chez les troubadours. Abandonnant ainsi l’idiome plus rude et un peu postérieur des trouvères à son savant mais moins perspicace collègue l’abbé De Larue, il étudia le génie lyrique provençal dans ses différens modes de manifestation, chanson, son, planh, tenson, sirvente, pastorelle, épître, novelle et roman, dans les cours d’amour, comme chez les Vaudois, au XIe et au XIIe siècle. Si M. Raynouard a montré trop de discrétion, trop de réserve peut-être pour les mots non compris, comme pour les passages inexpliqués encore, tout le monde reconnaîtra, avec nous, que la laborieuse patience et le génie philologique qu’il a déployés dans toute la dernière partie de sa consciencieuse carrière, ont laissé de grands et durables monumens. Que de rectitude dans les classifications ! que de rapprochemens ingénieux ! quelle unique et prodigieuse sagacité !

Quant à la découverte grammaticale importante sur la règle de l’S[1], découverte qui régularise la langue romane, les bénédictins l’avaient

  1. Usitée au singulier dans les cas directs, supprimée dans les cas obliques ; usitée au pluriel dans les cas obliques, supprimée dans les cas directs.