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RAYNOUARD.

À partir des premières années de la restauration, M. Raynouard se voua donc presque exclusivement à l’érudition littéraire. Un premier projet d’histoire de la littérature des peuples d’Amérique, des recherches sur les templiers qui l’amenaient déjà aux Archives du royaume dès 1807, et des travaux historiques sur les états de Blois et les champs-de-mai, le mirent sur la voie de ces études, qu’on croit si arides, mais qui, par l’habitude et l’attrait relatif, détournent l’esprit de pensées plus tristes et ont aussi leur prix et leurs jouissances. Dès-lors M. Raynouard vit moins le monde encore qu’il n’avait fait jusque-là. Après le premier et ardent mouvement patriotique de Caton, n’ayant conservé de ce naturel entraînement qu’un noble et persévérant amour pour la liberté, avec des retours plus vifs, mais sans suite rigoureuse, il avait, dans les commencemens de sa réputation, fréquenté assez assiduement et familièrement la maison de Cambacérès. Demeurant plus tard à Passy, où la famille Delessert l’entoura, jusqu’à la mort, de tant de soins prévenans, de tant de sincère amitié, il ne revenait guère à Paris que pour les séances de l’Institut, ou pour d’autres soins littéraires. Ses lectures successives sur la langue romane le firent nommer en 1816 membre de l’Académie des Inscriptions. C’est à partir de cette même année jusqu’à 1821, qu’il publia les six volumes de Poésies originales des troubadours, tirés à mille exemplaires, devenus très rares aujourd’hui. L’excellente Grammaire romane avant 1100 avait, nous le croyons, précédé : aux essais informes et si peu intelligens de Raimond Vidal et du Donatus Provincialis, M. Raynouard faisait succéder une clarté parfaite, une exactitude sévère, une précision rigoureuse. Ce qu’il y a dans ce travail, comme dans les suivans, de philologie ingénieuse, de sagacité grammaticale, d’intelligence heureuse, nous ne pouvons que l’indiquer ici. C’est là une espèce de génie particulier (nous employons à dessein ce mot génie qui ne nous paraît pas déplacé), et M. Raynouard le possédait à un degré éminent. Il a porté la lumière là où il n’y avait que le chaos ; il a donné une importance réelle et devenue nécessaire et appréciable à ce dont on parlait depuis des siècles, sans en avoir même la première notion. L’ardeur avec laquelle on s’occupe aujourd’hui de l’ancienne langue et des vieilles poésies de la France est due et remonte à M. Raynouard. Le premier élan vient de lui, et l’Europe lui a dès long-temps accordé cette gloire.

Mais à part les savantes recherches que personne ne s’est avisé de lui contester, à part le résultat général et important de ses travaux philologiques qui n’est nullement attaquable, le système que M. Raynouard a appliqué à son œuvre, a été l’objet de contradictions trop importantes dans la science, pour que nous ne les indiquions pas ici, tout en répétant encore que ses longs et patiens efforts n’en sont nullement atténués. Ce